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A quoi servait le lien social ?

Quelles conséquences aura le Covid ? En dehors de celles directement liées à la maladie, la crise actuelle aura eu un impact sur le lien social. Et si vous êtes une pompe funèbre, vous feriez bien de commander plus de housses renforcées que d’habitude.

Le bistrot de Jo

C’est une histoire assez courante à la campagne : tous les matins, Pierre vient boire son petit verre chez Jo, le bistrotier du village. Ils discutent de la météo ou des résultats du foot. Un matin, Pierre ne vient pas, puis deux, et Jo, le bistrotier, en parle à Monsieur le Maire, qu’il a vu passer devant son estaminet.

Le Maire décide d’en avoir le cœur net, et, accompagné du garde champêtre quand il en reste un, va taper poliment à la porte de Pierre. Face à l’absence de réponse, il fait le tour de la maison, jette un coup d’œil par les fenêtres, et voit Pierre allongé par terre. Soyons optimistes : dans notre histoire, Pierre s’en sortira. Mais Jo, usé par les confinements, ne rouvrira jamais son bar

Ce n’est qu’une histoire parmi tant d’autres. Mes grands-parents ont autrefois sauvé la vie de leur voisin, de cette façon. Voyant la grange de sa ferme toujours close à neuf heures du matin, ils ont décidé d’aller jeter un coup d’œil, et c’est ainsi qu’ils l’ont trouvé, terrassé par une attaque cardiaque, et qu’ils ont pu appeler du secours à temps.

Des histoires comme ça, en ville, il y en a aussi. Moins souvent, il faut le reconnaître.

C’est ça, et rien d’autre, qu’on appelle le lien social. Le fait de faire attention aux autres, de les connaître assez pour savoir que quelque chose cloche, et de ne pas avoir peur d’aller jeter un coup d’œil par la fenêtre dans ce cas.  Ce sont les petites habitudes des uns et des autres, connues de tous dans un microcosme.

Tout cela n’existe plus. Le Covid, les confinement, les fermetures de bistrots, les quarantaines, tout cela a bouleversé cet ordre paisible et rassurant, le remplaçant par un chaos d’improvisation où on ne sait plus ce qui est normal et ce qui ne l’est pas.

Et tout cela fait que, à l’heure où j’écris ces lignes, il y a des Jo, des Pierre, et tant d’autres, qui se décomposent sur le sol de leur maison, morts depuis longtemps après avoir attendu en vain la curiosité d’un voisin inquiet qui n’est jamais venu.

On les retrouvera dans quelques semaines ou quelque mois, quand quelqu’un s’inquiétera pour eux, ou lorsqu’un ersatz de lien social se remettra en place.

En attendant, il faut s’y préparer. Les pompes funèbres n’en auront pas fini avec le Covid lorsque la crise sera passée, elles seront aux premières lignes pour en voir les conséquences. Il faudra des housses renforcées.

Guillaume Bailly

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