Histoire de la morgue

Histoire de la naissance de la morgue

C’est une grande scène classique des films policiers : la famille ou les proches de la victime viennent identifier son corps à la morgue (et le policier leur jure de trouver celui qui a fait ça). Tout le monde connaît, mais ce que l’on sait moins, c’est que la morgue et cette procédure furent inventées… Par des bonnes sœurs, en France, au moyen-âge.

Bonnes sœurs et service public

A l’approche de l’an 1000, l’église développa un réseau d’œuvres pieuses pour pallier à l’appréhension d’une fin du monde annoncée comme imminente. Parmi ces œuvres, l’hôpital Sainte Opportune, au Châtelet, alors gros faubourg de Paris à l’origine géré par des frères de la congrégation de Saint Augustin. Petit à petit, l’intérêt pour Sainte Opportune décrut, tarissant le flot de pèlerins, en même temps que des sœurs remplaçaient les moines, qui finirent pas laisser la gestion de l’hospitalité aux nonnes.

La mission de l’établissement changea alors, l’hôpital se consacrant à deux tâches, l’accueil et les soins dispensés à des jeunes filles arrivées de la campagne dans ce quartier plutôt mal fréquenté, et l’ensevelissement en terre consacrée des défunts morts en prison, noyés dans la rivière proche ou abandonnés dans les rues.

La construction d’une chapelle en 1221 consacra son changement de nom : désormais, ce serait l’hôpital Sainte Catherine.

En échange de leur mission d’ensevelissement des défunts, les sœurs se virent donner une partie du cimetière des Innocents au Châtelet.

Plus particulièrement, les sœurs avaient la charge de l’inhumation des défunts provenant du Grand Châtelet, à la fois prison du tribunal et maison d’arrêt, et s’occupaient de l’inhumation respectueuse, en terre consacrée, des prisonniers morts en détention.

Étaient également conduits là les corps de noyés, ou les corps envoyés par la justice, déposés à fin d’enquête ou d’identification.

Religieuses de choc

Les sœurs vivaient grâce à un droit de préemption de ce qu’elles retrouvaient sur les morts, y compris les vêtements, qui étaient vendus. Problème : la police de l’époque avait tendance à se servir d’abord, livrant les corps nus aux sœurs spoliées de la seule source de revenus que leur procurait cette activité…

Déjà tendu pour cette raison entre la police et les sœurs, la situation explosa en 1494. Les nonnes refusaient une chose : inhumer les corps des suicidés en terre consacrée. Elles refusèrent à un commissaire de police l’inhumation d’un pendu. Le gradé, vexé, fit une descente avec ses hommes, enfoncèrent les portes, molestèrent les sœurs et les obligèrent à pratiquer l’inhumation.

Les nonnes de choc firent tant de raffut auprès de la justice, que celle-ci, sur ordre direct du roi, interdirent sous peine de sanctions graves de prélever quoi que ce fut sur les défunts, les possessions devant revenir aux sœurs, et renvoyèrent le commissaire à la vie civile après l’avoir obligé à s’excuser et faire une offrande substantielle à la communauté pour implorer son pardon.

Naissance de la morgue

La basse-geole, une cellule en sous-sol à la congrégation Sainte Catherine, servait donc à déposer les corps, en attendant qu’un médecin désigné par le tribunal vienne l’examiner, ou que quelqu’un vienne le reconnaître.

Petit à petit, un mot fit son apparition dans le langage courant, puis dans les documents administratifs, pour désigner spécifiquement cette pièce de l’hôpital Sainte Catherine : la morgue.

Dérivé d’un mot signifiant regarder avec dédain, le verbe morguer désigna d’abord l’exposition des nouveaux arrivants dans une prison afin que les gardiens puissent mémoriser leurs traits. Le séances d’identification des corps ressemblant à ces « morguages », la sémantique trouva sa voie.

Le mot morgue remporta un certain succès pour désigner ensuite les dépositoires à défunt. De surnom propre, il devint nom commun, y compris à l’étranger. Le Coroner en chef de la Morgue de New York, affectueusement surnommée Necropolis, doit ignorer que le nom officiel de son lieu de travail vient de nonnes parisiennes du XIIème siècle…

L’hôpital exista jusqu’en 1790, ou les ordres religieux furent dissous par la révolution française. Les bâtiments changèrent d’affectation, furent vendus, et la dernière trace disparut lorsque la rue Saint Denis fut élargie et le boulevard Sébastopol créé en 1851.

Outre le mot morgue, les sœurs de Sainte Catherine inventèrent l’hôpital de jour, l’asile de nuit aux femmes sans-abri, le premier centre de réinsertion et de placement des anciennes prostituées, des œuvres sociales qui se perpétuent encore aujourd’hui sans que l’on se souvienne de leur origine.

Guillaume Bailly

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