Le mariage posthume aujourd’hui

Le mariage posthume

Si voter des lois sous le coup d’une émotion, sous pression de l’opinion publique, est une constante aujourd’hui, ça n’a pas toujours été le cas. La première loi du genre fut ordonnée par un homme qu’on ne peut pas soupçonner de faiblesse, concerne le funéraire, et commence avec un barrage.

Une histoire

La pluie tombe sans discontinuer depuis presque un mois, sous l’œil ébahi des habitants de la côte d’azur, peu habitués à ces trombes d’eau. Les gens s’inquiètent : certes, l’eau, dans cette région ou les crues alternent avec la sécheresse, est toujours désirable pour les cultures, mais la, trop, c’est trop. ‘autant plus qu’on est au début du mois de décembre 1959, c’est l’hiver, il ne fait pas très chaud, toute cette humidité accentue encore la sensation de froid.

A Fréjus, le soir du deux décembre, les gens sont chez eux, s’abritant de la pluie et du froid. Peu entendent les bruits étranges, au loin, qui proviennent du lieu-dit Malpasset. Un nom de triste mémoire : le nommé Malpasset était un brigand, détrousseur de diligences. Peu d’entre eux, donc, prêteront attention aux bruits qui proviennent du barrage, celui qui obstrue le Reyran, ce torrent qui ne coule qu’en hiver. Et peu d’entre eux verront l’enfer déferler sur eux, vingt minutes plus tard.

Le barrage a cédé, et il arrive sur Fréjus. Il arrive, il déferle, plutôt, sous la forme d’une grande vague de quarante mètres de haut, charriant des blocs de pierre dont certains pèsent plus de six cent tonnes. Le barrage a cédé à 21 H 23, il est 21 H 43 et Fréjus semble avoir vécu l’apocalypse.

La catastrophe fera quatre cent vingt-trois morts et disparus.

La colère de la population était immense, et les recherches en responsabilités étaient nombreuses. Aujourd’hui encore, la question n’est toujours pas tranchée.

Parmi tous les survivants qui pleuraient leurs défunts, il y avait une toute jeune femme, inconsolable : elle et son fiancé devaient se marier quinze jours plus tard. Comme à chaque catastrophe, les médias cherchaient un exemple à taille humaine, et son histoire fut mise en avant. Son nom est passé à l’oubli, mais elle ému absolument tout le monde. Y compris jusqu’en haut des marches du pouvoir, ou l’on peut s’imaginer la conversation suivante :

«  N’y a-t-il rien que l’on puisse faire pour elle ?

  • … Euh… Je crains que non, mon…
  • Allons ! Je me rappelle fort bien qu’après la première guerre, on mariait les veuves des soldats à titre posthume pour donner des droits aux petits orphelins à naître ; la loi doit pouvoir s’appliquer. Allez ! Votez moi ça, et je la marierai par décret !
  • A vos ordres, mon général ! Pardon, Monsieur le président. »

Et ainsi fut fait. La jeune femme fut mariée à son défunt fiancé, par décret signé de Charles de Gaulle, et ressortit veuve de la mairie.

Ce fut la première loi de la cinquième république à être votée sous le coup d’une émotion, et pas la dernière.

Le mariage posthume aujourd’hui

Aujourd’hui, le mariage à titre posthume est autorisé, à titre exceptionnel, sur décret du président de la république, sans intervention de la justice. La demande doit prendre la forme d’un dossier.

Pour établir ce dossier, le ou la futur(e) marié doit démontrer que son conjoint avait effectué des démarches en vue de son mariage, suffisamment proches de la date de son décès pour qu’il soit incontestable qu’il n’avait pas changé d’avis. La recevabilité des preuves est décidée par le tribunal, qui marque la seule intervention de la justice dans cette affaire.

Une fois le dossier rempli et accordé par l’Élysée, le président de la république signe un décret autorisant le mariage. Celui-ci est célébré en salle des mariages de la commune ou il était initialement planifié, selon une cérémonie adaptée.

L’époux ou l’épouse survivant(e) se voit alors remettre un livret de famille. Sur celui-ci est porté l’acte de mariage, daté de la veille du décès et portant mention du décret présidentiel. Le livret est complété avec la mention du décès du conjoint défunt.

Ce mariage a néanmoins une valeur légale atténuée : en aucun cas, le conjoint survivant n’acquerra tous les droits inhérents à un mariage classique, notamment en matière d’héritage, totalement absent. Mais il pourra bénéficier des acquis sociaux accordés aux veufs et veuves, notamment en matière de pension de réversion.

Environ 90 mariages à titre posthume sont célébrés chaque année. Généralement, il s’agit de militaires tombés en opération. Ainsi, leurs veuves peuvent bénéficier de la pension militaire versée en ce cas, et leurs enfants du titre de pupille de la nation. Les chiffres varient bien sûr d’une année sur l’autre, mais la disposition de l’article n’a jamais été autant appliqué au XXIéme siècle que durant la guerre d’Afghanistan…

Certains ont tenté d’instrumentaliser ce mariage à titre posthume pour justifier des évolutions sociales, comme le mariage homosexuel. Mais les associations de défense des droits des LGBT elles-même réfutent l’argument, cette disposition ne répondant pas du tout aux mêmes justifications et implications philosophiques.

Une chose est certaine : si la loi permet de bénéficier de certains avantages liés au mariage, cette union reste à étudier dans le processus de deuil. Malgré toute la bonne volonté des législateurs, aucune loi ne parviendra à combler le vide laissé par un amour perdu.

Guillaume Bailly

One Reply to “Le mariage posthume”

  1. Bonjour,
    je souhaiterais savoir à quel niveau inscrit-on le décret présidentiel ? Est-ce au niveau de la place réservée au contrat de mariage ? Merci pour votre réponse.
    Bien cordialement.

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