Le temps

Continuer une œuvre ?

Asterix, Lucky Luke, et maintenant Gaston Lagaffe : les nouvelles aventures de ces personnages sont sorties ces dernières semaines en librairie, et ce, malgré la la mort de leurs créateurs originaux. Avec ou sans accord. Est-ce une bonne chose ?

Livre de l’au delà

C’est un sujet bien connu des auteurs : à qui appartiennent leur œuvre ? A eux, bien entendu, puisqu’ils l’ont pensée, écrite ou dessinée ou filmée ou enregistrée, peu importe le média, qu’ils y ont mis une intention et qu’ils ont finalement décrété qu’il était temps de la dévoiler au public, à un stade précis de sa création.

Mais une fois l’œuvre publiée, appartient-elle encore à son auteur ou au public ? Une bonne histoire de fiction se reconnaît au fait qu’on se l’approprie. Chacun créera ses histoires, percevra les émotions et interprétera l’intention à sa façon. C’est pour cela que les adaptations de livres à l’écran sont délicates : il faut transposer en images les images que les lecteurs ont dans la tête. Et il y en a autant de différentes que de lecteurs.

Tenez, un exemple simple : de quelle couleur est Hermione Granger dans Harry Potter ? Et vous me répondrez qu’elle est blanche, clairement typée européenne. Et bien non. Elle l’est, en effet, dans les films, parce que c’est l’insupportable Emma Watson qui a été choisie pour l’interpréter, mais dans le livre, ce n’est jamais précisé. Et, de part le monde, des millions d’enfants de couleurs de peau différentes ont pu imaginer une Hermione noire, ou asiatique, peu importe, mais juste semblable à eux. Ce que le film leur confisque donc.

Tout ceci pour dire qu’une œuvre de fiction réussie laisse toujours des trous pour que le lecteur puisse se l’approprier. Elle n’est donc pas totalement la propriété de son auteur. Mais du coup, lorsque l’auteur meurt, mais que le public a soif de nouvelles aventures de ses personnages préférés, à qui faire droit ? Le Droit, justement, est très clair : c’est l’auteur qui décide. Jusqu’à 70 ans après sa mort, après ça tombe dans le domaine public, mais ceci est une autre histoire.

Et il en a été décidé ainsi pour Asterix et Lucky Luke, avec deux philosophie différentes. La série Asterix a été continuée en restant le plus fidèle possible à l’œuvre originale, ce qui a été réussi… Parfois (le dernier est excellent), tandis que Lucky Luke s’est vu ouvert à plus d’interprétations libres de ses repreneurs.

Mais ce qui fait scandale, c’est la cas Gaston : il y a un doute sur le fait que Franquin ait donné le droit ou pas au gaffeur de continuer d’exister après sa mort. Il y était fermement opposé, puis aurait changé d’avis du bout des lèvres. En résulte un nouvel album, signé Delaf, qui a, honnêtement, fait un très bon travail, très, trop peut être, fidèle, mais qui se trouve contesté par la fille même de Franquin.

Le problème, c’est la limite. Il y a un moment où, soit les histoires vont tourner en rond, la nécessité de coller à l’oeuvre originale paralysant l’imagination, soit ils vont évoluer, mais alors, quelle sera la légitimité des repreneurs ? Il suffit de voir l’exemple souvent désastreux de Sherlock Holmes, dont les multiples incarnations à travers un affrontement quasi systématique avec Moriarty sont ridicules. Dans l’œuvre originale, Moriarty est cité dans deux histoires, et n’est qu’une commodité de Conan Doyle. Il n’en est jamais question avant, et il n’en est plus jamais question après. Faire de Moriarty l’ennemi juré de Sherlock Holmes, ce que quasi tout le monde a fait, est prouver qu’on s’est approprié l’œuvre sans l’avoir comprise.

Donc, il y a un risque de voir ces œuvres dénaturées dans le temps, mais il y a une compensation : dans toutes les œuvres de la littérature « continuées », que ce soit Sherlock Holmes, les Grands Anciens de Lovecraft, etc. Sont apparues le pendant, des rééditions intégrales et soignées des originaux. Aujourd’hui, pour une quarantaine d’euros, vous pouvez avoir une magnifique édition de l’intégrale Sherlock Holmes avec les illustrations originales du Strand, qui rappelle la valeur de l’œuvre originale.

Et ce schéma de l’eouvre continuée et dénaturée qui finit par augmenter la valeur de l’original fonctionne à tous les coups.

Tout ce ci ne répond pas à la question de la propriété d’une œuvre, mais un auteur peut en conclure que se faire piquer ses idées après sa mort est le moyen le plus efficace d’accéder à la postérité.

Guillaume Bailly

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