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Les mots bleus

On a appris le décès du chanteur Christophe du Covid-19, mais ce n’est pas le seul. Alors qu’en temps normal, les hommages auraient fleuris un peu partout pour ces personnalités, ils sont réduits au strict minimum, presque bâclés. Un reflet du monde réel ?

Il est dix heures au clocher de l’église

C’est ce vendredi matin, au réveil, que l’on a appris la triste nouvelle : le chanteur Christophe s’est éteint à l’hôpital de Brest où il avait été transféré pour désengorger les CHU parisiens saturés. Mort du COVID-19. Et même si la plupart des journaux ont publié l’article qu’ils tenaient prêts, l’auteur des « Marionnettes » partira sans l’hommage qui lui aurait été rendu en temps normal. Et ce n’est pas le seul.

Hier, c’est Luis Sepúlveda qui s’en est allée. L’écrivain chilien avait été opposant à Pinochet, militant écologiste, et avait remporté un immense succès avec son roman « Le vieux qui lisait des romans d’amour ». La mort d’un écrivain est l’occasion de décortiquer et d’inciter à redécouvrir son œuvre. Pas pour Sepúlveda, qui devra se contenter du service minimum, actualité oblige.

D’autres, moins connus, s’en sont allés aussi. Brian Dennehy, par exemple. L’acteur, interprète chevronné au théâtre aux USA, avait figuré dans de nombreuses séries et de nombreux films, comme la « Loi et l’ordre », un peu éclipsé par ses deux co-vedettes, Robert De Niro et Al Pacino.

Mais il s’était imposé dans un immense classique des années 80 face à une autre immense vedette. Donnehy, c’était le shériff soucieux de la tranquillité de sa petite ville qui s’en prenait à un vagabond interprété par Silvester Stallone. Un vagabond du nom de Rambo, dans le premier (et le meilleur, de loin, d’infiniment loin) film de la saga.

Je vous le recommande fortement, d’ailleurs : Donnehy y est formidable en shériff un peu abusif, mais pas si mauvais au fond, complètement dépassé par ce qu’il a déclenché, face à un Stallone impressionnant en vétéran traumatisé, bien éloigné du super-héros de pacotille des films suivants.

Paradoxalement, c’est Dieter Laser qui aura eu l’hommage le plus conforme à son statut. Vosu ne connaissez pas Dieter Laser ? Normal. A moins que vous ne soyez un amateur (ou une amatrice) forcené de films fantastiques à la limite de l’underground, il y a peu de chances que vous ayez vu « The human centipede – first sequence » où Laser interprète le rôle d’un chirurgien fou.

Je ne vous le conseille pas, du moins, pas tout de suite. Il faut avoir une certaine habitude de ce genre de films avant de se plonger dans ce type de métrage.

Mais sur les groupes dédiés au cinéma fantastique et d’horreur, remplis d’initiés et de passionnés, tous réunis autour de leur passion, l’hommage à Dieter Laser a été très suivi, proportionnellement au nombre de membres.

Et, quelque part, on peut y voir une sorte de métaphore de la société actuelle : plus la famille est proche et resserrée, plus l’hommage sera chaleureux et organisé. Plus la gloire est grande, plus la famille est étendue, dispersée et diversifiée, plus il sera dilué, rendu, certes, mais pas proportionnel à ce à quoi on serait en droit de s’attendre.

Tiré par les cheveux ? Sans doute. Mais l’hommage rendu aux personnalités disparues dit des choses sur nous. Son atténuation, con caractère plus expéditif, aussi : la mort, si longtemps taboue, est devenue en cette période un élément central de notre quotidien. Peut-être est-ce un enseignement à tirer de tout cela, le rappel de notre mortalité, l’importance, pour ceux qui restent, d’un travail de deuil bien réalisé. Une piqûre de rappel de l’utilité des métiers du funéraire.

Ou pas, diront les pessimistes. Ce serait dommage, mais l’expérience nous apprend que ce sont souvent eux qui ont raison.

En attendant, prenez soin de vous et de vos proches, et n’hésitez pas à leur dire les mots bleus, les mots qu’on dit avec les yeux.

Guillaume Bailly

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