Tout le monde connaît l’histoire du Titanic, comment il a heurté un iceberg et comment il a coulé. Les passionnés d’histoire se sont penchés, également, sur le procès qui s’ensuivit et qui donna lieu aux règles de sécurité moderne. Mais avez-vous entendu parler de l’expédition envoyée pour récupérer les corps ?
Desert glacé
Les hommes étaient arrivés à destination. Ils n’en savaient rien, bien entendu, et devaient, pour le savoir, s’en remettre à la sagesse des marins. La mer était grise et opaque. Le navire cablier Mackay-Benett n’avait pas plus l’habitude de recevoir des passagers qu’eux de naviguer. *
Ils étaient quarante, quarante thanatopracteurs engagés par la compagnie de pompes funèbres John Snow Et Cie, la plus importante de la région de Halifax. Quarante embaumeurs, et un pasteur, le Révérend Kenneth Hind, qui avait été missionné par son évêque.
Tous les membres d’équipage s’étaient portés volontaires, et l’armateur du Mackay-Benett, la Commercial Cable Compagny, avait décidé de doubler leur solde pour cette mission très particulière. Le câblier était chargé de tout le matériel commandé par les embaumeurs, de plusieurs tonnes de glace, d’une centaine de cercueils, de linceuls en toile et de barres de fer pour les lester.
Les quarantes embaumeurs, le pasteur, les membres d’équipages, et même le commandant F.H Lardner, pourtant expérimenté et habitué aux fortunes de mer, fixaient cette zone, 41°46’N, 50°14’O, en ce matin du vendredi 19 avril 1912 où, cinq jours auparavant, le Titanic avait sombré, emportant dans la mort 1520 personnes.
Leur mission était simple : récupérer le plus de corps possible, les embaumer pour pouvoir les rendre à leur famille, si possible, et, pour ceux qui seraient trop atteints, les confier à la mer après que le Révérend Hind ait procédé à une oraison funèbre.
Le Commandant Lardner avait lancé un appel aux navires qui sillonnaient la zone, et, bientôt, les réponses arrivèrent. Plusieurs corps avaient été repérés, plus ou moins proche de la zone ou le Carpathia avait récupéré les canots de naufragés survivants. Il faut dire que la zone ou le paquebot de la White Star avait sombré était incertaine, les canots s’en étaient éloignés pour éviter d’être aspirés par un vortex, avant de passer une partie de la nuit à dériver.
Le Mackay-Benett n’arriva qu’en fin de journée dans la zone pu les premiers corps avaient été repérés. La nuit tombant, le commandant décida de reporter au lendemain main, dès les premières lueurs du jour, le début des opérations. La soirée fut sinistre.
Le samedi 20 avril, les barques furent mise à la mer, et les premières rotations commencèrent.
Les corps étaient maintenus à flot grâce à leurs gilets de sauvetage. La procédure fut observée scrupuleusement. Les marins de l’embarcation arraisonnaient un corps, et nouaient autour d’une jambe un morceau de toile sur lequel était inscrit un numéro. Les affaires personnelles du défunt étaient placées dans un sac de toile sur lequel était reporté ce même numéro.
Puis les corps étaient ramenés sur le Mackay-Benett, ou il était confié à une équipe de deux embaumeurs. Ces derniers commencent par décrire, dans un registre, le défunt : taille, poids, couleur des cheveux, signes particuliers, inventaire des objets personnels, tout ce qui pourrait servir à l’identifier. Le nom était inscrit uniquement lorsque l’identification était possible de manière formelle.
Ensuite, les embaumeurs décidaient si le corps était suffisamment en bon état ou non pour recevoir des soins de conservation qui auraient permis de le rapatrier en cercueil ferme. Dans le cas contraire, le corps est scellé dans un linceul en toile lesté de barres de fer, et confié à la mer après un office du Révérend Hind.
L’équipage du Mackay-Benett, plus particulièrement les marins affectés à la récupération, étaient très affectés par cette tâche et l’ampleur de la catastrophe. Leur douleur se matérialisa lorsqu’ils récupérèrent un enfant, âgé d’environ deux ans. Le Commandant Lardner témoignera plus tard que tous les marins avaient fait une haie d’honneur au bambin, et tous, sans exception, y compris les loups de mer les plus endurcis, explosaient en sanglot en apercevant la petite dépouille. L’enfant était leur catharsis.
L’enfant ne fut pas identifié, mais les marins insistèrent pour qu’il soit embaumé et rapatrié à Halifax.
Le 26 avril, le Mackay-Benett, dont les cales sont pleines, est relevé par le câblier Minia, et retourne à Halifax. Il ramène 190 corps, 100 dans des cercueils et 90 dans des sacs en toile. Comme de leur vivant, les passagers bénéficiaient de leur classe sociale. Ainsi, les passagers de première classe identifiés furent placés en cercueil et embaumés, tandis que les passagers de secondee et troisième classe, comme les membres de l’équipage du Titanic, étaent simplement conservés dans des sacs en toile plongés dans de la glace. En tout, les marins auront récupérés 306 corps et en auront remis à l’eau 116, trop abîmés pour être transportables dans des conditions d’hygiène suffisantes.
L’enfant ne sera jamais identifié. Mais, rapatrié à Halifax, les marins du Mackay-Benett se côtisent pour lui offrir une sépulture et une pierre tombale. Les obsèques de l’enfant se déroulent à Halifax, ou il est inhumé, au terme d’une cérémonie particulièrement émouvante offerte par les habitants, venus en masse l’accompagner à sa dernière demeure, il est inhumé au cimetière de Fairview. Sur la pierre tombale offerte par l’équipage du Mackay-Benett, on peut lire « Enfant inconnu dont la dépouille fut recueillie après le naufrage du Titanic – 15 avril 1912. ». Elle est toujours visible aujourd’hui.
Par Guillaume Bailly
(Extrait de « le livre de la Mort », éditions de l’Opportun)