Qu’y a-t-il de plus calme, de plus recueilli, de plus serein, qu’en enterrement ? Quel moment écrasé de tristesse requiert-il plus de silence et d’introspection ? La vie du funéraire est un long fleuve tranquille, sans histoire et plein d’ennui. Euh… Attendez un peu, si c’était le cas, comment je fais des tranches de vie, moi ?
Monsieur Tweenwinie Funeral Home
Les obsèques se passaient bien, se dit Monsieur Tweenwinie, propriétaire de la Tweenwinie Funeral Home, dont il avait hérité de son père, qui lui-même l’avait héritée de son père, qui lui-même l’avait ouverte grâce aux pépites d’or héritées de son père, dont la Winchester trônait sur la cheminée de la coquette demeure des Tweenwinie, en rappel de l’histoire familiale. Juste à côté de la Winchester de son arrière-arrière grand-père, encadré, se trouvait l’avis de recherche de la polie britannique qui avait convaincu son aïeul de s’exiler pour fonder la branche américaine de la famille Tweenwinie.
Monsieur Tweenwinie sourit : descendants d’escrocs, la famille Tweenwinie était devenue une honorable lignée de croque-morts.
Le défunt du jour était un homme d’affaires connu de la région de Columbia, dans le Tennessee. Sa veuve avait commandé sans discuter la prestation haut de gamme que lui avait proposé Monsieur Tweenwinie, en échange d’une promesse : que les obsèques se déroulent dans le calme. Monsieur Smith, le défunt, avait horreur de toute forme d’agitation, et avait fui la folie urbaine de Memphis.
Monsieur Tweenwinie avait dit oui à tout. On était à Columbia, Tennessee, et jamais rien ne venait perturber la vie paisible des habitants.
Call nine one one
L’officier MacCallum se rendait à toute allure vers la sortie de la ville. Il avait reçu un appel code 10-38, signalant une voiture à contrôler. Cette dernière avait percuté deux voitures avant de prendre la fuite. La voiture était signalée comme appartenant à Cynthia F.
L’officier MacCallum n’avait plus que quelques centaines de mètres à faire, lorsqu’il reçu un nouvel appel code 10 sur sa radio. La propriétaire de la voiture incriminée, Madame F. avait été signalée à une adresse, passablement agressive, et l’officier était prié, en raison de l-absence de blessés sur le lieu de l’accident, de se dérouter vers cette nouvelle situation. L’officier MacCallum connaissait l’adresse, celle de la Tweenwinie Funeral Home.
Une dernière danse
Cynthia F, après avoir percuté les deux voitures et adressé moult obscénités à leurs conducteurs pour avoir osé se mettre sur sa route, poursuivit son chemin jusqu’à ce qu’un panneau attire son regard : « Tweenwinie Funeral Home ». Elle arrêta son véhicule au milieu de la chaussé et entra dans la maison funéraire.
Monsieur Tweenwinie se tenait dans un coin du salon, près de la porte de service, d’où il pouvait surveiller le déroulement de la cérémonie. Là, il avait vu la dame, grande, grosse, mal habillée, même pour les critères américains, entrer dans le salon et se diriger droit vers le défunt. C’est pour cela qu’il n’avais pas bougé de suite : elle avait l’air de savoir ce qu’elle faisait.
Cynthia se dirigea droit vers le cercueil, ignorant les regards curieux que lui jetaient les membres de la famille, se pencha vers le cercueil, fixa un instant le défunt, puis plongea ses bras dans la boîte ouverte, saisit le corps sous les aisselles et entreprit de l’extirper de sa bière.
Elle réussit à sortir le buste et asseoir le défunt avant que l’assistance ne se remette de sa stupeur et ne réagisse. Le premier à parvenir jusqu’à elle fut le cousin Bill , qui lui empoigna le bras. D’un seul geste, Cynthia vit valser le quinquagénaire, pourtant encore en forme, jusqu’au pied d’une croix disposée plus loin. Il fallut six hommes vigoureux pour faire lâcher sa proie à Cynthia, et la plaquer au sol, tant la furie se démenait.
C’est dans cette position que la découvrit l’officier McaCallum. La femme tenait des propos incohérents, sentait l’alcool et ses tests sanguins révélèrent des traces de drogue. Tout ce que réussirent à tirer de cohérents les policiers de l’interrogatoire de Cynthia, c’est qu’elle avait eu le coup de foudre pour Mr Smith, le défunt, et qu’elle voulait le ramener chez elle.
Il y a probablement une morale à cette histoire, mais je n’arrive pas à la trouver. En revanche, si à la suite de la lecture de cette histoire, quelqu’un a l’idée de monter une agence de rencontres pour nécrophile, sachez que, moralement, je désapprouve, mais que, comptablement, je prend 50 % des bénéfices.
Guillaume Bailly