Il y a des articles, comme ça, qui laissent perplexe. Celui de Jérémie Peltier dans Marianne en est un tant il est impossible de savoir s’il s’agit d’ignorance crasse sauce technocratique ou d’une plaisanterie loupée, de celles qu’on est obligé d’expliquer. Attention, cet article contient de l’ironie et des fruits à coque.
« Adieu Marianne, c’est l’heure où nous commençons
A rire et à pleurer, et à pleurer et à rire à propos de tout à nouveau »
Léonard Cohen
La perplexité à son paroxysme
Dure vie que celle d’éditorialiste. Vous imaginez certainement votre serviteur, confortablement installé dans son fauteuil, commenter paisiblement l’actualité funéraire avec un vague sourire ironique. Et, souvent, c’est le cas. Mais il arrive parfois où le bélier de l’incertitude vient défoncer la porte de ma tranquillité.
Tenez, le papier de Jérémie Peltier dans Marianne, publié numériquement le 2 février 2022, sobrement intitulé : « Les changements d’habitudes depuis deux ans vont rendre les croque-morts obsolètes ».
Je l’ai lu. Je l’ai relu. Je suis parti prendre une aspirine, j’ai attendu qu’elle fasse effet, puis l’ai relu encore. Et, honnêtement, je suis perplexe.
De deux choses l’une : soit ce papier est une satire au second, voire au troisième degré, du progressisme, auquel cas il faut que j’envoie mon détecteur de sarcasmes en révision. Soit c’est un vrai article sérieux et, dans ce cas, nous avons un exemple parfait de quelqu’un qui parle, un peu pompeusement, d’un sujet sur lequel il n’a pas le moindre début de l’ombre d’une connaissance.
Dès le début de l’article, l’auteur explique que la crise du Covid a rempli les poches des pompes funèbres. Lesquels se font traiter, dès le second paragraphe, de « coquins ». Alors, oui, on entend souvent coquin dans le sens de « malicieux », il est utilisé pour les enfants ou pour certains adultes dans le sens de « polisson », mais il ne faut pas oublier que c’est la définition secondaire. Dans un langage soutenu, coquin signifie « personne vile, capable d’actions blâmables ».
Rien ne précise dans quelle acception ce terme est utilisé. J’ai mon idée, sans doute que vous aussi, mais à accuser sans preuve, on acquitte sans gloire. Les accusations en l’air, on en a Outreau, ou trop peu.
L’auteur explique que la vaccination ne fait pas les affaires des pompes funèbres et s’étonne de ne pas les avoir aperçus aux manifs antivax. Mais c’est normal : les antivax, après tout, expliquent que le vaccin va tuer des gens en masse. Sur les deux plans, on est gagnant.
Jérémie Peltier explique ensuite que le développement du télétravail et les nouvelles habitudes font que la voiture est de moins en moins à la mode. Donc, moins de voitures, moins d’accidents, moins de morts. D’accord, cher monsieur, mais bon, la profession a survécu à l’invention de la ceinture de sécurité et de l’airbag, on devrait bien s’en sortir, ne vous en faites pas. Tous ces gens qui vont rester chez eux, assis sur une chaise, privé de leur demi-heure de vélo pour aller bosser vont très vite compenser par leur infarctus ce que nous aurons perdu en trauma.
Vieilles rengaines
Puis le vieillissement de la population, qui oblige à attendre plus longtemps des clients, toujours selon l’auteur. Ah, méconnaissance, encore : notre boulot, c’est de conduire les gens vers le repos éternel. ETERNEL. Et comme disait Woody Allen, l’éternité c’est long, surtout vers la fin ! Nous sommes des professionnels de la patience. On attendra.
Enfin, il suppose que, développement écologique aidant, les gens finiront par enterrer eux-mêmes les morts dans leur jardin. Alors, peut-être, mais ce n’est pas pour tout de suite. Il suffit de voir l’échec patent du test mené par Xavier Dupont de Ligonnès et les ennuis qui s’en sont suivi pour voir qu’on n’est pas encore prêts.
Et puis, les 32 % de français qui vivent en appartement, selon l’INSEE, seront bien embêtés.
Mais Jérémie Peltier est un gentil garçon, il nous laisse aussi des raisons d’espérer. Le nombre important de français en faveur de la peine de mort, par exemple. Oui ? Dans le cas, assez improbable, où la décollation (c’est le terme correct pour une exécution par la guillotine, de rien) serait rétablie, ce ne sont pas les trois ou quatre malheureuses exécutions annuelles qui nous feront vivre.
Puis, le coup de grâce, si j’ose dire, il nous explique que les EHPAD, boîtes à faire mourir les vieux, sont nos alliés, même si un scandale récent va peut-être changer la donne. Jérémie Peltier doit être très jeune : des scandales sur les EHPAD, il y en a un tous les dix ans. Et jamais rien ne change.
Les fondations sont fragiles
Inutile de répondre autrement que par l’ironie aux arguments de Jérémie Peltier, tant une simple consultation de la réalité fera réaliser à quel point il est à côté de la plaque (funéraire). Mais qui est donc cet auguste personnage ? Et bien, à priori, c’est un membre éminent de la Fondation Jean-Jaurès, puisqu’il en est « directeur des études ».
Fondation politique créée en 1992 à l’initiative de cadres du Parti Socialiste, voulue par Pierre Mauroy comme « un outil de rayonnement de l’expérience socialiste » (in La Voix du Nord le 12 juin 2013), la Fondation Jean-Jaurès obtint un premier résultat en 1993, après la défaite historique du PS, qui était passé de 275 à 57 députés.
Lionel Jospin s’appuya sur des idées de la Fondation Jean-Jaurès lors de sa campagne de 2002, qui le vit arriver triomphalement à l’Elys… Pardon, qui le vit se faire éliminer du second tour au profit de Jean-Marie Le Pen.
La Fondation se rangea ensuite du côté du Président Macron grâce à la convergence de leurs idées… Pardon, suite à d’importantes subventions gouvernementales qui sauvèrent cette élite de l’élite de la faillite. Tout en continuant d’éclairer de sa sagesse et de ses précieux conseils la candidate du PS, qui, selon les sondages, ne devrait pas atteindre les 5 % lors de l’élection à venir.
Lors des dernières municipales, la Fondation Jean-Jaurès avait prédit qu’EELV ne parviendrait à prendre aucune mairie dans un rapport publié la veille de l’élection. Le lendemain, EELV reportait 29 mairies. Bon, certes, que des patelins, comme Lyon, Strasbourg, Bordeaux, mais tout de même.
Bref, nul doute que le Directeur des études de cette Fondation est un expert, un vrai. Simplement, le tank, dans « Think tank », chez lui, c’est un Panzer !
Jérémie Peltier oublie juste un détail. Oh, trois fois rien, une broutille. Les croque-morts, comme il dit, et j’assume ce terme, sont avant tout des êtres humains. Des femmes et des hommes qui se protègent mais ne sont pas insensibles à la détresse des proches, aux situation souvent précaires dans lesquelles ils interviennent. Ce sont des gens qui se rendent sur des accidents, des crimes, des suicides, des morts de vieillesse, de maladie, la journée, mais aussi la nuit, lorsque Jérémie Peltier dort paisiblement. Des gens qui tremblent à l’idée des saloperies qu’ils pourraient contracter et ramener ensuite chez eux, à leur famille. Le tout, pour peiner à attendre le salaire médian, être oubliés des remerciements officiels, être méprisés par la presse, et, de temps en temps, franchement insultés comme dans son article.
A travers la fondation Jean-Jaurès, Jérémie Peltier prétend promouvoir l’humanisme. Riche idée. Vous commencez quand ?
Guillaume Bailly
Encore un article à charge pour les opérateurs funéraire. À la différence de ceux déjà parus celui-ci. pointe une méconnaissance totale des métiers du funéraire et du paysage funéraire actuel en France et a venir . En résumé un bon article qui aura probablement toute sa place dans les réseaux sociaux car de même niveau. Ce pseudo journaliste qui est aussi chroniqueur pour Madame Natacha Polony du magazine « Marianne » en dit long sur la qualité de ses articles …
Eh bien mon Guillaume tu as retrouvé toute ta verve. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un article de toi aussi bien léché. Quand bien même tu tapes sur la gôche, comme tout bon vieux rėac de droite, force est de constater que le fond et la forme y sont.
Un joli coup de plume..
Excellentes réparties, fine, intelligente et drôle ! Merci, cela apaise après lecture de l’article, ou plutôt du billet stupide et lourd commis sur Marianne.