Ce que le funéraire doit à la peste

Les grandes pandémies ont jalonné l’histoire de l’homme. Grands fléaux, fléaux oubliés, fléaux discrets… Avant la découverte d’un traitement, le paludisme a tué, durant la guerre du pacifique, plus de soldats que le conflit lui-même. Mais, parmi les maladies, il en est une dont le nom seul suffit à faire peur : la peste.

La peste invente le funéraire moderne

C’est l’épidémie de peste par excellence : La grande épidémie de peste noire (1347 – 1352). 25 millions de victimes, entre 30 et 50 % de la population tuée en Europe (les sources démographiques ne sont pas extrêmement fiables), la France mettra trente ans à rattraper sa démographie. Elle eut une particularité, celle d’être la première épidémie médiévale à être décrite par les chroniqueurs.

Et c’est à cette peste que nous devons beaucoup de vocabulaire encore usité aujourd’hui.

Croque-morts, par exemple. La population de l’époque croyait que la peste se transmettait plus facilement par les cadavres. C’était donc seulement au moment du décès que les corps étaient jetés dans la rue.

Et tous ces défunts gisant sur la chaussée semaient un peu le désordre, surtout que personne ne voulait s’en occuper. Sur ce qui s’est passé à ce moment là, deux versions nous sont proposées. L’une suggère que les municipalités, principalement Paris, très touchée par l’épidémie, recrutèrent des mendiants, des miséreux, des crève-la-faim, pour, en échange d’une rétribution, débarrasser les rues des corps en échange d’argent et de nourriture. L’autre version soutient que ce travail fut proposé à des condamnés à mort en échange de leur grâce, si toutefois ils survivaient. Beaucoup auraient accepté, puisque entre la peste et le tranchant de la hache du bourreau, ou la corde, la certitude de mourir était un peu plus faible avec la maladie.

Mais ces travailleurs de la mort n’étaient pas suicidaires : plutôt que de toucher les corps, ils imaginèrent un système, un grand bâton de bois au bout duquel était monté un crochet, qui leur permettait de charger les corps dans leur charrette en restant à distance raisonnable. On disait donc qu’ils crochaient les morts… Et on finit par les appeler les croque-morts (voir note en fin d’article).

Pour transporter les corps aux charniers, ou aux bûchers, selon les endroits, il leur fut fourni des chariots. Ces derniers reçurent le nom latin, bera, qui, selon les régions et les patois, était déformé en biera. Pour dire qu’un corps avait été enlevé de la rue, on disait qu’il avait été « mis dans la biera ».

Sept siècles plus tard, les croque-morts continuent à faire des mises en bière sans penser un seul instant à leurs ancêtres médiévaux…

Paris était particulièrement touchée par la Peste Noire. Face à la saturation des cimetières, des bûchers furent édifiés et des fosses communes creusés plus loin, à cause de la contamination. Plus précisément, le dévidoir des cadavres de Paris était Corbeil. Le mode de transport choisi fut le fleuve, et tous les croque-morts convergeaient donc vers un quai ou attendait une barge chargée de convoyer les trépassés. La barge servait déjà au commerce, et était surnommée le Corbeillard. Songez-y, la prochaine fois que vous conduirez votre corbillard à destination.

De nombreuses autres pestes se déclarèrent à travers l’histoire, mais l’une des plus marquantes fut la Peste de 1720 à Marseille. L’épidémie tua 40 000 personnes, soit la moitié de la population de la ville à cette époque.

De nombreuses familles demandèrent à ce que les corps de leurs proches soient inhumés dans les tombes, plutôt que d’être jeté au tout-venant de la fosse commune.

Les autorités accédèrent à cette demande, à condition que les corps soient enterrés au minimum à 1,50 mètres de profondeur, et qu’on laisse un vide sanitaire entre la pierre tombale et la terre : les médecins pensaient que l’air emprisonné là pouvait servir de filtre pour les miasmes censés remonter de la tombe.

Ces dispositions passèrent dans la législation lors de la révolution française. Aujourd’hui, la profondeur minimum d’inhumation par défaut est toujours de 1,50 mètres, sauf arrêté municipal contraire (le maire pouvant définir une profondeur moindre) et, si le vide sanitaire n’a aucune existence légale en France (exception faite d’arrêtés municipaux locaux), beaucoup de monuments en sont encore pourvus.

Bien d’autres inventions de moindre importance ont été créées de toutes pièces pour faire face aux morts de la peste. Mais les principales sont ici, et bon nombre des outils, noms et usages de nos jours viennent directement des grandes épidémies de peste.

Note : sur les origines du mot croque-morts. Je suis parfaitement conscient que l’Académie Française a décrété que « croque-morts » venait du vieux français « croquer » qui signifie « faire disparaître ». J’attirerai simplement l’attention du lecteur sur le fait que les Immortels ont décidé cela au terme d’une dure après-midi de travail, sans recherches préalables. L’origine que je cite vient, elle, d’historiens spécialisés (Patrick Boucheron, Christophe Picard, Jacques Le Goff, Georges Minois Etc…) qui EUX ont travaillé le sujet. Ceci dit avec tout le respect dû à l’Académie Française.

Guillaume Bailly

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