R12

Le cercueil du vieux con

Il est de coutume pour les vieux râleurs de gloser sur « c’était mieux avant », de commenter d’un air sombre le monde d’aujourd’hui et de se demande où on va. Et bien, puisque je ne suis plus tout jeune, et que le monde l’a bien cherché…

C’était mieux avant

Quand j’étais petit, et, mine de rien, ça remonte à un bail, le dimanche, avec mes parents, nous prenions la Renault 12 et nous rendions visite à mes grands-parents, à Plouguerneau. En ce temps, il fallait traverser Lannilis et prendre le vieux pont pour franchir l’Aber Wrac’h, c’est dire comme ça remonte.

Et nous sommes bien d’accord, si vous n’êtes pas un autochtone, cette partie ne vous parle pas du tout.

Mais en traversant le bourg, nous passions, en plein centre-ville (façon de parler, en ce temps, Plouguerneau, c’étaient 3000 habitants, environ), devant un hangar, celui du menuisier. Ce n’était pas un grand hangar, et comme l’homme de l’art travaillait sur des bateaux, relativement encombrants, il devait stocker une partie de son travail dehors.

Il y avait donc toujours une sorte d’exposition de cercueils en plein air. Parce que, oui, c’était le menuisier local qui fabriquait les cercueils, et que, faute de place, quand il devait retaper l’annexe de Jo le pêcheur, il les entreposait dehors, à divers stades de fabrication.

De même que des gabarits en forme de cercueils qu’il utilisait… Je ne sais pas pourquoi. Quand j’ai été en âge de me poser la question, il était déjà parti à la retraite depuis longtemps. Bref, je devais avoir cinq, six ans, et, dans la R12 flambant neuve de mes parents, qui n’allait pas tarder à être remplacée par la R18, nous passions tous les dimanches devant l’étalage de cercueils à divers stades de fabrication du menuisier.

Et je trouvais ça normal, pour une simple et bonne raison : tous les adultes autour de moi semblaient trouver ça normal. Et ça l’était.

Mais vraiment mieux

Mais pourquoi cette soudaine envie de parenthèse biographique ? Et bien parce que les souvenirs me sont revenus en pleine poire, avec élan, ce matin. C’était le deuxième effet Kiss Cool.

Il y a deux jours, je suis tombé sur un petit article d’un journal de Loire-Atlantique sur une dame qui était tombée sur un cercueil dans la rue. Un demi cercueil d’exposition, venant de l’entrepôt abandonné d’une société de pompes funèbres, que des gamins avaient sorti, visiblement.

Sur le coup, je le suis dit que, bon, le journaliste devait s’ennuyer, et que la dame serait fort contente de passer dans le journal, ça lui ferait un truc à raconter un jour, le jour où on aurait à nouveau l’occasion de voir des gens pour raconter des trucs.

Et ce matin, voilà que je retombe sur un article à propos de cette dame. Cette fois-ci, elle raconte comment son mari et elle allaient à la boulangerie et qu’ils étaient tombé sur ce demi-cercueil. Un article assez long eu égard à l’évènement, avec des citations de la « victime », et le tout sur RTL.

Sur RTL. Là on n’est plus dans le local, on est sur une radio nationale, la plus grande en France, en fait, qui vive sans nos impôts, et on pourrait croire légitimement les journalistes de RTL occupés, avec le Covid, les vaccins, le report envisagé des élections régionales, les joyeuses relations diplomatiques entre la France et la Chine, ou le Président Américain qui est censé diriger la première puissance mondiale et qui n’est même pas capable de distinguer, de sa vice-présidente ou lui, qui a été élu.

Mais non, RTL prend le temps de faire un article sur une dame qui a vu un cercueil en allant à la boulangerie avec son mari. Donc, la dame va chercher du pain, elle voit un vieux demi-cercueil d’exposition jeté sur le trottoir par des gamins, et ça fait un article dans la presse nationale.

Encore, ça va : la personne impliquée semble finalement prendre tout ça à la rigolade et n’a pas déclaré vouloir intenter une action judiciaire pour obtenir la réparation d’un supposé traumatisme. Je suis à peu près certain qu’elle-même est surprise de se retrouver sur RTL pour ça.

Voilà. Nous sommes passés en 40 ans d’une société où un menuisier pouvait fabriquer des cercueils et les laisser dans sa cour, au vu et au su de tous sans problème, à une société où un demi-cercueil d’exposition sur un trottoir vaut un article sur une radio nationale. Et on ne peut s’empêcher de penser, vu le climat actuel, que plus on cache aux gens ce qui pourrait les offenser, plus leur sensibilité s’accroît. Mais c’est juste mon avis de vieux con. Comme dirait l’autre : « messieurs les sociologues, tirez les premiers ! ».

Mes grands parents, comme tous les habitants de Plouguerneau et au-delà dans les années 70 ne trouvaient rien à redire au fait de regarder la mort en face, et c’étaient, tous, des gens biens. Ce qui est inquiétant, c’est que nous sommes en train de devenir exactement l’inverse.

Guillaume Bailly

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