Buée sur Mirroir

Le devis en mairie fait il encore de la buée sur le miroir ?

Cela fait cinq ans que la loi de modernisation de la justice a réitéré l’obligation pour les opérateurs funéraires de déposer un devis-type en mairie. La mesure est-elle utile ? Appliquée ? Nous nous sommes penchés sur son corps, en quête de signes de vie.

C’est qui ce (devis) type ?

Lors de l’examen de la loi de modernisation de la justice, en 2015, Jean-Pierre Sueur, parmi d’autres, avait réitéré l’obligation pour les pompes funèbres de déposer un devis-type en mairie, consultable par tous, et comportant une liste de prestation obligatoires.

Réitéré, et non pas proposé : dès 1993, lorsqu’il avait pris en main la fin du monopole des pompes funèbres à la demande de François Mitterrand, Jean-Pierre Sueur, alors secrétaire d’État chargé des collectivités territoriales auprès du Ministre de l’intérieur, avait proposé d’inclure cette obligation dans la loi. Pour être précis, un devis-type et un dépôt en mairie. Mais les décrets d’application n’étaient jamais parus.

En 2008 avait eu lieu une seconde tentative, mais à force de navettes parlementaires et d’amendements, le projet avait été vidé de sa substance. C’est donc finalement en 2015 que les opérateurs funéraires se sont vus imposer l’obligation de déposer un devis-type en mairie.

Où en sommes-nous ? Et bien, alerte divulgachâge, comme disent nos cousins québécois, le devis en mairie ressemble plus à un cadavre animé des derniers soubresauts de l’agonie que d’une brillante idée qui changea la face du funéraire.

Des hommes de terrain

Pour vérifier, d’abord, du côté des mairies, votre serviteur a pris son bâton de pèlerin (un bâton de pèlerin moderne, avec quatre roues, un volant, un moteur et un autoradio) et s’est rendu dans trois mairies. Celle d’un village de 3500 habitants, celle d’une ville de 16 000 habitants, et celle d’une ville de 140 000 habitants.

Pour les esprits chagrins, cette expérience a été faite avant l’entrée en vigueur du confinement.

Dans le petit village, la secrétaire de mairie, après que je lui ait fait part de ma demande de consulter les devis-types, m’a simplement rétorqué « les quoi ? » avec une charmante spontanéité. Clairement, en poste depuis quatre ans, c’était la première fois qu’elle en entendait parler. Seule ce jour là, elle s’avoua incapable de me renseigner et me suggéra d’envoyer un e-mail au Maire.

Dans la mairie de la petite ville, l‘employée à l’accueil de la mairie m’orienta vers le service technique, situé dans un bâtiment dévolu à l’administration des services techniques et se trouvant à l’écart du centre-ville. Une fois sur place, on me signala que la personne qui s’en occupait était absente, mais une collègue très sympathique finit par mettre la main sur une petite pochette, contenant quatre devis et émanant de deux sociétés différentes.

Enfin, à la mairie de la plus grande des trois villes, les secrétaires m’indiquèrent qu’elle recevaient de temps à autre un devis, qui était monté à l’étage, au service etat-civil décès, et qu’ils étaient certainement consultables sur place, sur demande. La secrétaire d’accueil m’indiqua que, dans son souvenir, on avait dû lui demander deux ou trois fois de les consulter depuis leur mise en œuvre.

Bilan ? Pas brillant. Dans aucune des trois mairies, la famille ne peut avoir accès simplement à ces devis, et surtout pouvoir les consulter facilement à tête reposée dans une pièce au calme. Difficile alors de se faire une opinion.

Il faut le laisser partir, maintenant…

Et du côté des familles ? La tâche était plus compliquée, évidemment, impossible de se poster à la sortie d’une chambre funéraire pour demander à des personnes endeuillées ce qu’elles en pensaient. Heureusement, il existe plusieurs groupes et forums d’entraide sur la toile pour les personnes ayant subi un décès, tous munis de l’arme absolue : un moteur de recherche.

Là encore, ce n’est guère brillant. Au grand maximum, sur sept pages et sites testés, on trouve une dizaines d’occurrences sur les mots clefs « devis-type » dans plusieurs formes, et si « mairie » apparaît souvent, ce n’est pas pour cette recherche. La plupart de ces occurrences, à part deux exceptions non-représentatives, sont antérieures à décembre 2016.

Ce qui s’explique assez simplement : lorsque ce texte est paru, d’une part, il n’a pas fait grand bruit parce qu’il s’agit de funéraire, et que, dans l’esprit de la presse, il y a toujours quelque chose de plus intéressant que le funéraire à traiter (en dehors des scandales et de la Toussaint), d’autre part, même si les familles en ont entendu parler, c’est la plupart du temps dans une période où elles n’en avaient pas besoin, et la plupart ont simplement oublié cette information.

Il aurait fallu, pour que la mesure fonctionne, que cela devienne une habitude adoptée par la majorité de la population. Or, on en est très loin.

Il y a quelques années, avant les progrès de la médecine, on plaçait un miroir devant la bouche des agonisants pour vérifier qu’ils respiraient encore. Il y a une buée ténue sur celui que nous avons mis devant le devis-type en mairie. Mais si les équipes de réanimation n’interviennent pas très vite, il n’y aura bientôt plus rien. Mais il ne faut pas oublier que, parfois, il faut savoir laisser partir le malade.

Guillaume Bailly

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