Un entrepreneur a levé un million d’euros pour développer un QR code à destination des cimetières. Et s’est offert une jolie publicité à travers son passage dans un jeu télévisé où il doit, justement, convaincre des investisseurs. C’est une mission pour rabat-joie, ça.
Qui veut être son associé ?
Sur M6, l’émission « Qui veut être mon associé ? » propose un concept simple : un jeune entrepreneur vient présenter une idée à des investisseurs, et ceux-ci décident ou non d’investir de l’argent dans sa société. C’est un rhabillage original d’une vieille recette, les émissions d’inventeurs, avec un intérêt supplémentaire pour les téléspectateurs cible, c’est qu’ils pourront un jour glisser le produit dans leur chariot au supermarché. Ou non.
Et donc, ce second mercredi de janvier s’est présenté un « inventeur » venu proposer une solution pour les cimetières : un QR code. Le jeune homme, ingénieur de profession, a eu cette idée lors de l’enterrement de son grand-père.
L’idée est simple : un QR code est placé sur le monument, et lorsqu’un proche vient se recueillir sur la tombe, il lui suffit le le flasher (pardon pour l’anglicisme, mais c’est comme ça que l’on dit), et cela le mène sur un site internet où on trouve des photos, un film, un registre de condoléances…
Et c’est à ce moment là que, sous mon identité secrète de Super Rabat-joie, je dévoile ma botte secrète : le paragraphe précédent a été écrit sans que j’aie vu l’émission, ni avoir lu d’articles sur le sujet. Bon, j’ai été vérifier après l’avoir écrit, tout de même.
Parce que les QR codes dans les cimetières sont une idée tellement novatrice que je me rappelle avoir écrit mon premier article sur le sujet il y a 10 ans. A propos d’une société qui n’existe plus. Puis j’en ai écris d’autres, à propos d’une société qui n’existe plus non plus, et à propos de sociétés qui l’ont inscrit, puis retiré, de leur catalogue.
Ethnocentrisme funéraire
La présentation du projet a mis un certain malaise, et même provoqué des heurts, sur le plateau, nous apprend le replay. La majorité des jurés estimait que c’était une mauvaise idée, et seul un d’entre eux, par ailleurs créateur d’une société de produits de régime, a investi de l’argent, en conseillant à son poulain de voir plus grand en proposant une solution globale.
Et certainement que cet investisseur est très doué. Son entreprise de produits de régime est prospère, elle touche à une demande du public. Mais il ne comprend manifestement pas le funéraire.
La mort est particulière. Lorsqu’on va aux pompes funèbres préparer la séparation définitive d’avec une personne qu’on a aimé, on n’y va pas dans le même état d’esprit que lorsqu’on va remplir son réfrigérateur au supermarché. C’est un moment de conservatisme, où l’on se rabat sur des habitudes et des coutumes anciennes, celle du défunt. Ça rassure, c’est humain : une sorte de cocon mental, une forme sinistre de la madeleine de Proust.
Et oui, les choses peuvent évoluer. Mais dans le funéraire, rien n’évolue jamais avec fracas à grands renforts de publicités. Tout est très lent, au rythme de la société et des obsèques des classes d’âge. Quand les jeunes d’aujourd’hui mourront, dans longtemps, on l’espère, peut-être que l’on aura des plaques tombales en forme de manettes de jeu vidéo. Mais on aura des tombes pour les poser.
Dès lors, le QR code dans le cimetière ne s’imposera jamais. Ceux qui veulent évoquer le souvenir d’un défunt n’en ont pas besoin : ils ont les albums photos, les vidéos de famille, et leurs souvenirs. Ceux qui s’en fichent ne seront pas convaincus pour autant de venir dans le cimetière flasher un QR code. Sans compter que, laids, ces derniers ont déjà été interdits dans plusieurs cimetières. Ça aussi, ça va être compliqué.
En un mot : comme disaient Chevalier et Laspalès, les QR codes au cimetière, « il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes ». Mais bon : si ce jeune entrepreneur et son « business angel » pensent qu’ils vont y arriver là ou d’autres (dont ils n’ont même pas entendu parler, ça commence bien) ont échoué, « c’est vous qui voyez ».
Guillaume Bailly