Jusqu’aux Fêtes de fin d’année, le jeudi, Funéraire Actualité vous offre une petite tranche de l’histoire du funéraire. Aujourd’hui, les classes d’enterrements, ou l’époque, comme disait Brassens, où « les gens ont à cœur de mourir plus haut que leur cul ».
Classes d’enterrement
Discutant l’autre jour avec un apprenti assistant funéraire, je découvris avec stupéfaction qu’il n’y avait pas qu’à l’école de la république que l’enseignement de l’histoire était tronqué. Le jeune était persuadé que l’enterrement de première classe venait de l’expression « avoir la classe ».
Quelque part, si l’idée générale est bonne, cet enterrement de première classe vient d’une coutume précise tout autant que désuète.
Fut un temps ou les pompes funèbres étaient un monopole. Temps pas si ancien que cela, puisque celui-ci ne fut aboli qu’au milieu des années 1990 pour laisser enfin place à la liberté du funéraire et à la création d’hommages personnalisés grâce au travail des entreprises indépendantes des municipalités.
Avant la loi de 1905, l’église avait le monopole de ces pompes funèbres, attribuée dans le cadre du concordat signé par Napoléon (concordat qui courut de 1801 à 1905). La cérémonie était unique, dans le sens ou, à de très rares exceptions près, le défunt passait par la messe avant d’être inhumé au cimetière, et il fut décidé, pour des raisons de simplification et de contrôle administratif, de créer des « classes d’enterrement ». Celles-ci variant de trois à six, selon les régions, et étant validées par un arrêté préfectoral.
Enterrement de classe
Les familles choisissaient la classe d’enterrement en fonction de leurs moyens financiers et de leur notoriété, de la première classe, la plus luxueuse, à la dernière, celle des pauvres et des indigents. Lesdites classes définissaient le décorum, de la présence de tentures jusqu’au sonner des cloches de l’église, en passant par le nombre et le poids des cierges déployés.
Il eût été inconcevable de donner à un défunt des obsèques d’une classe inférieure à son rang social, réel ou supposé. Ainsi, des commerçants n’hésitaient pas à se ruiner pour donner à leur défunt des obsèques de première classe, afin de faire croire à leurs concurrents que leurs affaires étaient plus florissantes qu’en réalité.
Les classes servaient ainsi, effet pervers, d’échelle de valeur sociale. Les banquiers consultaient les registres d’obsèques pour se faire une idée de la bonne santé financière de leurs clients.
Pour illustrer ces exemples de classe, une ordonnance signée du Roi Louis Philippe, portant règlement sur le nombre et la tarification des classes d’enterrement sur la commune de Saint Pierre Les Calais, proposés par le conseil municipal.
Ainsi sont définies six classes d’enterrement. Un transport de corps, en première classe, coûte quinze francs s’il est réalisé à l’aide d’un corbillard, plus six francs à payer aux porteurs. En troisième classe, c’est dix francs et quatre francs, et, en sixième classe, deux francs et un franc.
La différence se joue sur le décorum du corbillard, couleur des chevaux, présence de tentures et de cierges, et sur le tenue, le nombre et la motivation des porteurs.
Cloches, glas et tentures
A l’église, un enterrement de première classe aura droit à une double volée de quatre cloches. En seconde classe, on n’a plus droit qu’à une simple volée de quatre cloches, en troisième, une simple volée de trois cloches inférieures, et ainsi de suite jusqu’à la sixième classe, qui sonne droit à une simple volée de la quatrième cloche inférieure, le glas.
Pareillement pour les luminaires : en première classe, on a droit à des cierges sur l’autel pour un total de huit kilos de cire, et un cierge d’offrande d’un kilo 250 grammes. En sixième classe, le curé voit beaucoup moins clair, puisqu’on est limité à 7 hectogrammes 5 décagrammes de bougies sur l’autel et 1 hectogramme 25 grammes de cierge d’offrande.
Si les premières classes ont droit à la mise en tenture de la porte de l’église, de l’autel, de la nef, du chœur, du catafalque et du piédestal, les quatrièmes classes se contenteront d’une tenture à la porte de l’église et sur le catafalque, les cinquième et sixièmes classes s’en dispenseront totalement.
Cette coutume a perduré jusqu’à la fin des années 1970, voire les années 1980, dans certains endroits. J’ai, à titre personnel, travaillé avec des collègues qui avaient installées des tentures de première classe à la porte des églises.
Si la liberté des obsèques a permis de libéraliser ce secteur et de permettre des convois à composer à la carte, les obsèques low cost de certains opérateurs souvent issus de l’ancien monopole reflètent une certaine nostalgie des obsèques de sixième classe.
Guillaume Bailly
Journal de Paul Léautaud au 2 décembre 1942 :
Je suis allé ce matin aux obsèques (cérémonie religieuse) du mari de ma marchande de légumes. Le char funèbre tout garni de tentures lamées d’argent. Les deux chevaux habillés de même. Un maître de cérémonie en grande tenue : cape et bicorne et haute canne, un cercueil à montures, en chêne ciré, qui devait peser à voir la peine des porteurs (ce n’était pas le corps, le défunt était un petit homme si mince !). À l’église, le cortège et le corps reçus aux accents de La Mort d’Aase , fort bien jouée. Le chœur, les côtés du chœur, revêtus de tentures lamées d’argent, nombreux écussons portant l’initiale du nom du défunt, un grand déploiement de lumières. Ensuite, un concert ininterrompu avec de vrais chanteurs. Je me suis tenu le dos un peu tourné au chœur, pour regarder de ce côté. Le chef d’orchestre, en même temps chanteur baryton, chantait avec une flamme, une âme, faisant presque des gestes comme sur la scène. À côté de lui, une première chanteuse à voix très belle. Un ténor, aussi, que je n’ai pas pu distinguer. Une contrebasse, un instrument de cuivre (je n’ai pu distinguer lequel) doublaient l’orgue. Au moins six morceaux ont été ainsi chantés avec accompagnement. Par moments, le chant prenait la forme d’un chœur, chaque voix y faisant sa partie de façon parfaite. C’est la première chanteuse qui a chanté le Dies irae. C’est la première fois que je l’entends chanter par une femme. Une heure de grand opéra, ou presque. Du côté de l’autel, le clergé en grande tenue, nombreux enfants de chœur porteurs de hauts flambeaux avec leurs cierges allumés, le suisse dans sa tenue des grands jours. Musique, chants, décor, les invités n’ont pas eu à regretter leur dérangement. En sortant de l’église, j’ai demandé à un employé des Pompes funèbres quelle classe c’était là. Quatrième . Surcroît de cérémonial : après messe et chants, deux grandes tables, drapées de noir, écusson à l’initiale du défunt, papier, crayons, ordonnateur, pour recevoir les signatures.
Bonjour et merci pour ces explications. Existe-t-il des textes qui décrivent « officiellement » ces dispositions? Est-ce dans le concordat?