Décoration militaires

Mourir pour l’Ukraine ?

Et si l’image la plus édifiante pour contester un engagement français en Ukraine était celle d’un cercueil ? Alors que la guerre menace à l’horizon pour des enjeux infiniment complexes, la réalité de la mort à travers l’image concrète d’un cercueil pourrait doucher des enthousiasmes.

Géopolitique et cercueil

Y aura-t-il un cercueil recouvert d’un drapeau bleu-blanc-rouge venu de l’est dans la cour des invalides ?

Un seul chiffre : 1444 kilomètres. C’est la distance qui sépare la frontière française de la frontière ukrainienne, de leur point le plus proche, par la route (Source : Via Michelin). C’est l’équivalent d’un Brest Monaco en voiture. Pour faire simple : la guerre est, littéralement, à nos portes.

Ce n’est pas sur la France que la pression sera la plus forte. Si la Russie envahis l’Ukraine, la Pologne et l’Allemagne auront plus de raisons de se sentir nerveuses. Parce qu’elle aura alors une frontière directe avec l’empire Russe, fantôme de l’URSS que Vladimir Poutine semble rêver de reconstituer, et dont elle a fait partie, la Pologne pourra craindre une pression militarisée.

La Pologne a intérêt à ce qu’une résistance ferme soit opposée à la Russie.

L’Allemagne, elle, dépend directement de la Russie. En renonçant au nucléaire au profit des énergies renouvelables, nos voisins d’Outre-Rhin ont commis ce qui est une des plus grosses erreurs de leur histoire. Désormais, l’Allemagne dépend directement du charbon et du gaz, quasi exclusivement Russe. Gaz qui transite par l’Ukraine. Si Poutine coupe le robinet, ce sont 38 % des usines Allemandes qui ferment et 40 % des foyers qui ne peuvent plus se chauffer (source : l’Usine Nouvelle d’après les statistiques du cabinet IHS Markit).

L’Allemagne n’a pas intérêt à ce qu’une résistance ferme soit opposée à la Russie, mais n’a pas non plus intérêt à ce que l’Ukraine, par où transite 50 % de son gaz et 30 % de son charbon, soit envahie.

La France a la chance de disposer de l’industrie nucléaire qui assure sa souveraineté énergétique et a, quel que soit l’itinéraire, deux pays pour faire tampon entre l’Ukraine et elle.

Et la situation géopolitique n’est pas si simple. Ce n’est pas le méchant Poutine contre le gentil reste du monde. L’Ukraine a une histoire compliquée, et une partie du pays est plus Russe qu’Ukrainienne, culturellement et linguistiquement. Le traité de paix qui maintenait le statu quo prévoyait le respect des spécificités de ces peuples, chose que l’Ukraine n’a pas réellement respecté.

L’Amérique a également sa part de responsabilités. L’accord tacite entre les Etats-Unis et la Russie après l’effondrement de l’URSS était qu’il n’y aurait pas de présence de l’OTAN à la frontière du pays. Promesse faite par Bill Clinton à Boris Eltsine, et tenue jusqu’ici, en ne permettant pas à un voisin de la Russie d’adhérer à l’OTAN. Les négociations pour l’adhésion de l’Ukraine à l’Organisation de Traité de l’Atlantique Nord ont été définitivement interrompues en 2012.

C’était sans compter sur Joe Biden qui a proposé au président Ukrainien de déployer des troupes en Crimée et au Donbass, les deux régions russophones évoquées plus haut. C’est le principal déclencheur de la crise : ce que ne veulent pas les Russes, concrètement, ce n’est pas une question d’adhésion de tel ou tel pays  ou une quelconque organisation intergouvernementale, mais la présence de militaires américains à leurs frontières.

Ce qui est en train de se jouer, finalement, est un remake inversé de la crise des missiles de Cuba.

Et encore, ce bref résumé est extrêmement simplifié. Mais, si d’aventure un président français déclarait vouloir envoyer des militaires en Ukraine, il serait légitime de demander « Pourquoi ? », et une opposition ne manquerait pas d’arguments.

Mais ce qui pourrait déclencher une crise politique majeure est, au-delà de cela, l’image du cercueil d’un soldat français mort en Ukraine. Les militaires tombés au Mali se justifient par la lutte contre le terrorisme, et leur sacrifice se fait pour la sécurité de tous.

Cette image d’une mort, réelle, concrète et nue, du cercueil d’un soldat français dans la cour des Invalides, serait celle d’un fils, d’un frère, d’un mari, d’un père, d’un voisin, d’un des nôtres, mort pour une affaire qui ne nous concerne finalement, pas. Ce cercueil là pourrait être un désastre politique.

Guillaume Bailly

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