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Plus de décès que de naissances en France

C’est un fait désormais entériné par les chiffres de l’Insee : la France est entrée dans une nouvelle ère démographique. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en dehors de circonstances exceptionnelles comme les pandémies ou les années de guerre le pays enregistre durablement plus de décès que de naissances.

Les vivants et les morts

Ce renversement discret mais fondamental vient clore un cycle historique entamé il y a près d’un siècle, marqué par la reconstruction, les Trente Glorieuses, puis une longue stabilité, avant l’inflexion progressive de ces dernières décennies.

Pendant des décennies, la natalité française avait fait figure d’exception en Europe. À la faveur d’une politique familiale volontariste, d’un système de prestations jugé généreux et d’une culture nataliste héritée de la crainte de déclin entamée dès la fin du XIXe siècle, la France avait réussi à maintenir un taux de fécondité relativement élevé, oscillant autour des deux enfants par femme jusque dans les années 2010.

Mais depuis une dizaine d’années, ce taux s’effrite régulièrement, jusqu’à atteindre aujourd’hui un niveau historiquement bas. Cette érosion, lente et apparemment indolore, cache un glissement profond dans les comportements, les aspirations et les structures sociales. Le recul de l’âge de la maternité, l’incertitude économique, la crise du logement dans les métropoles, les arbitrages professionnels des jeunes générations, une certaine remise en question du modèle familial traditionnel participent à cette inflexion. Mais aussi, il ne faut pas l’oublier, la remise en question sournoise par l’État des politiques familiales.

En parallèle, le vieillissement de la population se poursuit inexorablement. Les générations nombreuses du baby-boom sont désormais âgées, et les décès augmentent mécaniquement. Ce mouvement était prévisible, annoncé depuis longtemps par les démographes, mais il n’en reste pas moins saisissant lorsqu’il se manifeste dans la réalité statistique. Le solde naturel, longtemps positif, est désormais négatif. Ce basculement ne signifie pas que la population française va nécessairement décliner à court terme : l’immigration compense en partie la dynamique interne. Ce qui pose d’autres questions.

Les conséquences, déjà perceptibles, sont de nature politique, économique, sociale, mais aussi existentielle.

Le financement du modèle social, fondé sur une solidarité intergénérationnelle où les actifs nombreux prenaient en charge les retraités plus âgés, se retrouve mécaniquement fragilisé. Le rapport de force démographique change, et avec lui les priorités de la société.

L’accent se déplace peu à peu des crèches vers les EHPAD, des congés parentaux vers les pensions de retraite, de l’éducation vers la dépendance.

Mais ce n’est pas seulement une affaire de chiffres ou de comptabilité sociale. La baisse des naissances soulève des interrogations plus profondes sur l’élan vital d’un pays, sa projection dans l’avenir, sa capacité à se renouveler. Faut-il y voir une panne du désir d’avenir ? Un choix collectif plus ou moins conscient de ralentir, voire de décroître ? Ou au contraire, une adaptation pragmatique à un monde perçu comme instable, incertain, voire anxiogène pour ceux qui songeraient à fonder une famille ? Derrière les courbes démographiques, il y a des imaginaires en mouvement, des rapports au temps et au futur qui évoluent. Et de la propagande, beaucoup de propagande.

Historiquement, les transitions démographiques ne se font jamais sans tensions ni réajustements. La France n’échappe pas à la règle. Ce qui change aujourd’hui, c’est que la question ne se pose plus seulement en termes de croissance ou de décroissance, mais en termes de sens.

Quelles ambitions collectives pour une société qui se renouvelle moins ? Comment repenser la solidarité dans un contexte de rétrécissement du socle actif ? Et surtout, que devient une nation lorsque l’idée même de transmission vacille ? Autant de questions que ce tournant démographique met crûment à l’agenda, sans bruit, mais avec une force irréversible.

Guillaume Bailly

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