Un corbillard pour la fidélité conjugale

C’est toujours pareil, comme un sort. Je me tiens tranquille, signe quelques livres, échange quelques mots avec les visiteurs, et, PAF ! On me raconte une anecdote. Je suis poursuivi par les anecdotes. Une fois, un marabout a proposé de lever cette malédiction. Je l’ai descendu. Si c’est ça, une malédiction, alors j’adore être maudit.

Infidélité fatale

Le croque-morts était heureux en ménage, selon sa conception du sujet : il aimait sincèrement sa femme et il avait aussi une très grande tendresse pour toutes ses maîtresses, même les plus éphémères. Aussi se trouva-t-il fort marri lorsque, un jour qu’il avait rendez-vous avec une conquête pour une rencontre tout à fait discrète dans l’après-midi, sa voiture tomba en panne.

« Prend la mienne » lui dit son patron, qui était aussi un ami, et qui partageait sa conception particulière de la fidélité conjugale. Ce qui fut fait, l’homme parti au volant de l’automobile rutilante, allemande, celle avec une petite étoile sr le radiateur, on ne va pas faire de publicité à Mercedes, quand même, pour son rendez-vous galant.

Ledit rendez-vous se déroula conformément à ce à quoi on est en droit de s’attendre de ce genre d’événements, en dehors du fait notable que la femme et l’homme ne purent attendre d’avoir rejoint le petit hôtel discret qu’ils avaient réservé, trop impatients de s’administrer des démonstrations de passion aussi enthousiastes qu’acrobatiques.

En fin d’après midi, l’homme ramena la voiture, et déposa les clefs sur le bureau de son chef, qui habitait une maison jouxtant l’agence.

Le lendemain

Au petit matin, le patron de l’entreprise de pompes funèbres, et son épouse aimée, quoique trompée, sortirent de bonne heure faire des courses. Ils montèrent en voiture et démarrèrent.

On était aux premier frimas de l’automne, et si les journées étaient encore douces, les matins étaient frais. De la buée apparut dans l’habitacle aussitôt le couple installé. Le croque-morts mit alors le chauffage en route, démarra, contrôla ses rétroviseurs, et sortit de son stationnement. Il entama paisiblement son chemin, jusqu’à ce que son épouse lui demande « Dis, chéri, c’est quoi, ça ? »

Par « ça », elle désignait deux empreintes de pied. Nettes et très nettement féminines, elles apparaissent, dessinées par l’effet conjugué de la buée et du chauffage, sur le pare-brise, juste en face d’elle.

Le croque-morts comprit immédiatement ce qui avait pu se passer, bien entendu. Mais expliquer qu’il avait prêté sa voiture à son collaborateur marié pour qu’il aille s’envoyer en l’air avec une femme qui n’était pas la sienne pouvait ouvrir la porte à des questions gênantes, sur la bienveillance avec laquelle il traitait l’infidélité des autres, s’élargir sur sa conception de la fidélité conjugale, voire même, songea-t-il, pouvait révéler à son épouse, qui était fort naïve sur bien des aspects, l’existence du concept d’adultère en dehors des feuilletons télévisés.

Il avait deux secondes pour trouver une explication. Il prit la première qui lui vint à l’esprit. « Ben hier, les gars étaient parti faire un transport de corps assez loin, une famille m’a appelé, ils voulaient un transfert, ils étaient pressés… et donc, je me suis dit, tant pis, le client a toujours raison, j’y suis allé, j’ai installée la défunte dans la voiture, sur un brancard, et voilà. Désolé, ma chérie ».

Sa femme le regarda « D’accord. » elle tourna la tête , regarda autour d’elle, et se retourna vers son mari « tu as nettoyé le reste de la voiture, au moins ».

« Bien sûr, ma chérie, j’ai juste oublié le pare-brise ».

Sa femme eut l’air soulagée « Tant mieux ! On n’est jamais trop prudent ! »

Le mari n’en revenait pas. Il ne put s’empêcher de d’ajouter « De toute façon, elle était dans une housse. C’est la règle, pour transporter les défunts : toujours couvert ! »

Guillaume Bailly

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