Le post-humanisme, cette volonté d’améliorer l’homme grâce à la technologie pour, au final, vaincre la mort, est-elle une bonne chose ? Si, parfois, cette idée donne de l’espoir, d’autres fois, elle terrifie.
Immortel
Tout commença une après-midi comme une autre, par un accident de la circulation comme il en arrive tant : un homme renversé par une voiture. Cet homme là circulait dans une artère très fréquentée de Moscou, et, sur les circonstances de l’accident, on en sait finalement assez peu.
L’homme laissa une famille et des amis dévastés par sa perte, comme toujours dans ces situations. Mais il en était une, tout particulièrement, qui ne parvenait pas à se faire à l’absence de cet homme. Sa meilleure amie, celle qui le connaissait depuis l’enfance, celle qui connaissait ses secrets les plus intimes, celle avec qui il échangeait constamment des messages.
Et elle refusait sa mort. Ou, plutôt, elle refusait son silence obstiné. La présence de son défunt ami lui manquait. Un athée aurait invoqué les mânes de la psychologie, un croyant prié pour l’âme du défunt. Mais elle était une scientifique, elle croyait en l’informatique et aux mathématiques, et elle se tourna vers la seule chose en laquelle elle croyait : l’algorithme.
Un par un, elle éplucha les textos, les mails, les messages que son ami lui avait envoyé toutes ces années, et qu’elle avait conservé. Il y en avait des milliers. Son but, son Graal, était quelque chose en quoi seul elle pouvait croire : la formule mathématique qui était lui, son plus vieil et plus fidèle ami.
Et un jour, elle y parvint.
Entre temps, elle avait quitté la Russie pour les Etats-Unis, où l’on avait entendu parler de sa quête. Et les investisseurs se manifestèrent. Elle embauche tout un groupe de programmeurs, triés sur le volet, des spécialistes de l’intelligence artificielle. Tous travaillèrent sur un seul but : un logiciel qui pouvait apprendre tout ce qu’il y a à apprendre sur une personne, pour la remplacer au moment de sa mort.
Dissipons, si vous le voulez bien, un malentendu : Peut-être certaines et certains d’entre vous se disent que c’est un choix de ma part de finir ce recueil d’histoires vraies par une fiction. Peut-être n’imaginez vous pas que ce logiciel existe. Pourtant, ceci n’est pas une fiction, tout ce qui précède est vrai, et ce programme existe bel et bien.
C’est une application à base d’intelligence artificielle qui vous fait la conversation. Un ChatBot, comme on dit, ou, en langage moins geek et plus français : un robot de conversation, programmé pour être votre ami, et, c’est très important, pour apprendre à votre contact.
L’idée est simple : plus vous conversez avec le robot, plus il apprend à vous connaître, et donc, plus il saura orienter la conversation vers un sens qui vous plaît. Pour enfoncer le clou, l’application demande l’accès à tous vos comptes de réseaux sociaux et analyse vos posts en profondeur. D’accord, vous exclamerez-vous, c’est bluffant, impressionnant, mais en quoi est-ce que ce robot a sa place dans un livre sur la mort ?
Et bien, tout simplement, lorsque vous serez mort, ce robot mettra en œuvre tout ce qu’il aura appris de vous, avec une mission simple et claire : prendre votre place auprès de vos amis. Ceux-ci n’auront qu’à télécharger l’application sur leur téléphone ou leur tablette, appeler votre profil, et ils auront l’impression d’échanger des messages chat avec vous. De véritable conversations suivies.
L’application est conçue pour être une véritable éponge. Vos sujets de prédilection, mais aussi d’agacement, seront assimilés, tout comme vos tics de langage.
C’est un marché énorme, et profitable : de votre vivant, une application qui connaît aussi bien vos goûts et votre personnalité sera un indicateur précieux pour tous les marchands, qui se verront indiquer quoi vous vendre, et comment vous convaincre.
A votre mort, toutes celles et tous ceux qui vous auront aimé pourront entretenir à l’infini l’impression de parler avec vous. Au temps pour le travail de deuil.
Ce qui donne véritablement le vertige, encore plus que l’immortalité, c’est que ce qui intéresse les gens en vous sera réduit au statut de programme informatique, et cette partie là continuera – sans vous. Dès lors, on peut se sentir flatté que certaines personnes trouvent votre conversation suffisamment intéressante pour la poursuivre éternellement, ou au contraire, on peut être pris d’un vertige à l’idée que votre mort physique indiffère ces personnes, finalement.
C’est toute l’obsession humaine : si l’on ne peut vaincre la mort, alors on trouvera un moyen de la nier. Dans un cas comme dans l’autre, cette mortalité qui nous définit en tant qu’humain disparaîtra, laissant la place à autre chose, mais quoi ?
Guillaume Bailly