Mardi 14 mai, l’attaque d’un convoi pénitentiaire a causé la mort de deux agents et en a blessé grièvement trois autres. Les images ont été diffusées dans les médias, provoquant choc, stupeur et consternation. Mais propager ces images a-t-il un intérêt ?
La mort en face
La scène est graphique : à un péage, une camionnette de l’Administration Pénitentiaire s’avance, quand, soudain, un véhicule arrive en contresens, la percute volontairement, des individus en sortent, arme au poing, et tirent. Et même si l’angle ne laisse rien voir des cibles, le contexte est explicite : nous sommes en train d’assister à l’exécution pure et simple de deux hommes et à la tentative de meurtre de trois autres.
La question est donc ouverte : fallait-il montrer ces images ? Les rédactions rechignent parfois, et la seule raison pour laquelle on les a vues, c’est la guerre que se livrent les chaînes info et les réseaux sociaux. Parce que, bien souvent, ces images ne passent pas, pour préserver le public, par décision unilatérale des médias.
Et pourtant, elles ont leur utilité.
Il y a trente ans, régulièrement, les géopoliticiens parlaient sur les plateaux télé, dans les journaux, et dans des livres parfois assez pointus, d’un réseau terroriste préoccupant. Dans l’indifférence du grand public : d’accord, ces gens existent, mais, dans leur esprit, c’était un concept théorique et lointain.
Et, bien qu’on les connaisse depuis dix ans, c’est l’image des deux avions s’écrasant dans le World Trade Center qui avait le mieux expliqué au grand public qui était Al Quaeda.
Il y a des cas où ne pas montrer les images est une nécessité. Lorsqu’il s’agit d’exécutions filmées par la propagande terroriste, par exemple, ou les images du Hamas paradant avec les corps de leurs victimes le 7 octobre, parce que ce serait entrer dans leur jeu, humilier par ricochet ces victimes, et peut être encourager des mouvements similaires ailleurs.
Mais les images de l’attaque du fourgon pénitentiaires, elles, sont importantes. Elles montrent que des gens n’ont pas peur de s’attaquer à l’État, puisque s’attaquer à une institution, c’est s’attaquer à la structure du pays tout entier. Et elles montrent autre chose.
Dans la configuration choisie par les assaillants, une voiture devant, une voiture derrière, des armes lourdes, ils n’avaient aucun besoin d’ouvrir le feu : armés de pistolets 9 mm, assis dans des véhicules, donc avec des difficultés pour dégainer, et face à des fusils d’assaut, l’escorte se serait sans doute rendue sans difficultés : nul ne leur aurait jeté la pierre, ils n’avaient aucune chance. Mais les criminels ont choisi d’ouvrir le feu directement, sans aucun respect pour la vie humaine.
On parle d’insécurité, ou du sentiment d’insécurité, et c’est de cela dont il s’agit. Vivre en insécurité, ce n’est pas risquer de se faire trancher la gorge à chaque fois que vous sortez de chez vous, bien entendu. Mais vivre en insécurité, c’est vivre dans un pays où des individus sans aucune considération pour la vie humaine n’hésitent pas à s’attaquer à l’État, démontrant qu’ils n’en ont pas peur. Ne pas avoir de certitudes sur jusqu’où la situation peut aller, c’est ça, l’insécurité.
Montrer ces images, c’est informer de manière juste et loyale les citoyens. Parce que la justice est rendue au nom du peuple français, et c’est au peuple français de décider de ce que doit être la justice. Deux réserves cependant doivent être observées. Ne pas montrer les corps, premièrement, pour sauvegarder leur dignité et leurs familles. Et préserver les plus jeunes de ces image. Ils ont droit à cette parenthèse bucolique d’insouciance qu’est l’enfance.
Guillaume Bailly