Funéraire actualités

Disparitions en série à l’Institut Médico-Légal

Ce n’est pas par hasard que les professionnels du funéraire sont souvent des personnes qui ont déjà vécu avant d’entrer dans le métier. Ce n’est pas un pamphlet anti-jeunes, mais il faut reconnaître que le funéraire se marie mal à une certaine désinvolture.

La chance de leur mort

La journée se déroulait normalement, c’est à dire dans un calme de monastère. Non pas que les élèves fussent particulièrement attentifs, chacun rêvassait plutôt dans son coin à ce qu’il allait faire le week-end suivant. L’enthousiasme et la passion des débuts étaient depuis longtemps éteints.

C’était assez classique : les impétrants étaient arrivés persuadés que, dès le premier jour, ils enfileraient un masque et une combinaison, et procéderaient à des injections de formol à cœur ouvert sur des cadavres, devant l’œil ébahi de leurs formateurs qui ne manqueraient pas de glisser « Tu es bien meilleur que je ne le suis ». Il avaient déjà appris tout ce qu’ils devaient savoir en regardant la télévision.

Au lieu de quoi, ils s’étaient retrouvés assis en salle de formation, à devoir apprendre des planches anatomiques par cœur, après s’être rendu compte que tout ce qu’ils avaient pu lire, voir et entendre sur la thanatopraxie était faux. Non, ils n’ouvriraient jamais un corps avec une incision en Y pour y injecter un mélange formolé de leur composition qui allait révolutionner les soins d’embaumement. Et, pour finir de les achever, leurs formateurs avaient été formel : seuls ceux qui travailleraient le plus réussiraient. L’éventuelle existence du talent était une considération secondaire.

Claire, la formatrice, se mettait en quatre pour que ses stagiaires réussissent, non seulement à décrocher leur diplôme, mais à ensuite à mener une carrière heureuse. Elle voulait les intéresser. Voilà pourquoi elle entra en classe, ce jour-là, avec le sourire :

« J’ai une très bonne nouvelle. Vous le savez, nous travaillons en collaboration avec l’hôpital, et le professeur Chabenat, qui dirige l’unité médico-légale du CHU, a accepté de vous accueillir vendredi matin à huit heures pour assister à une autopsie qu’il pratiquera et commentera lui-même. »

Une vague lueur d’intérêt s’alluma dans l’œil des élèves. Des questions fusèrent sur le déroulement.

« Comme vous le savez » expliqua Claire, «  le professeur est une référence dans son domaine. Le public n’est jamais admis aux autopsies, c’est donc une chance extraordinaire que vous avez. Vous serez dans la pièce, et le professeur expliquera ce qu’il fait. »

Les élèves manifestèrent leur joie. Claire leur expliqua qu’ils devraient se rendre directement à l’IML, où ils seraient accueillis par le professeur, et qu’ils pourraient ensuite partir en week-end, puisque les cours prenaient fin à midi.

Le vendredi, Claire était dans son bureau, en train de préparer ses cours, lorsque le téléphone sonna. « Claire ? Professeur Chabenat à l’appareil. » Claire regarda sa montre : neuf heures. L’autopsie était déjà finie ? Il y avait eu un problème ?

« Bonjour, professeur. Comment allez-vous ? »

« Bien, merci. Dites, c’est bien aujourd’hui que vos élèves assistent à l’autopsie ? »

Claire sentit l’inquiétude monter « Oui… Pourquoi, ils vous ont dit quoi ? »

« Rien. Il n’y a personne. »

« Pardon ? »

Le professeur soupira « Je les attends depuis une heure. Les deux gendarmes qui doivent assister à l’autopsie aussi, attendent depuis une heure. Je ne sais pas ce qui se passe, avec vos élèves, mais je ne peux pas attendre plus longtemps »

« Je comprends » dit Claire « Je vais voir ce qui s’est passé, sûrement un malentendu ».

Ce qui s’était passé, découvrit vite la formatrice, était simple : panne d’oreiller, de voiture, goutte au nez, tous les élèves avaient une excuse pour rester au lit.

Lorsque la formatrice me raconta cette histoire, elle conclut « Voilà, les gamins qui arrivent en formation ont vingt ans, on leur conseille de travailler en pompe funèbre avant, ils nous expliquent que c’est pas la peine, ils arrivent comme s’ils savaient tout, entre l’école et les à côté, leurs parents dépensent vingt mille euros, et quand ils ont la chance d’assister à une autopsie, ils préfèrent rester au lit ». Ce qui, reconnaissons-le, est la meilleur morale à donner à cette histoire.

Guillaume Bailly

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