Récemment, des obsèques, celle de Michel Fourniret, ont fait polémique. Mais les grands hommes ne connaissent pas toujours un dernier voyage paisible non plus. Comme le convoi funèbre d’Emile Zola, mort en pleine affaire Dreyfus, peu après le célèbre « J’accuse ».
De la mine aux cieux
L’ambiance, si l’on peut dire, aux obsèques d’Emile Zola, ce 6 octobre 1902, était lourde. L’écrivain venait de perdre la vie dans des circonstances que d’aucun jugeaient troubles.
Emile Zola était en effet mort quelques jours plus tôt, intoxiqué par des émanations de son poêle à bois. La faute à une mauvaise évacuation, disent certains, crime politique, disent d’autres. Et il faut le replacer dans son contexte : parmi les visiteurs de Zola sur son lit de mort, on compte Alfred Dreyfus, gracié mais pas encore réhabilité. « L’affaire » est encore dans tous les esprits, et la part qu’y a pris Zola aussi.
D’ailleurs, une partie de la presse s’offusque : pour contenir la foule immense sur le chemin du convoi, on déploiera l’armée, qui fera office de service d’ordre. « Comment ? » s’exclament certains, « utiliser ainsi nos militaires pour défendre le cercueil d’un traître ? ». Certains journaux appellent d’ailleurs à jeter Zola, même pas dans la fosse commune, mais dans la « fosse d’aisance ».
L’affaire Dreyfus, et le « J’accuse de Zola » ont coupé la France en deux, et la foule immense qui contemple le passage du convoi compte autant de mines lugubres que d’airs réjouis. D’où le déploiement de l’armée : on craint les émeutes.
Dans cette ambiance plombée, soudain, on s’agite. Les soldats se mettent sur leurs gardes, on craint la bousculade, l’émeute. Un groupe joue des pieds et des mains pour se faire une place devant, sur le passage du convoi. Des homme solides émergent, ils forment une haie de part et d’autres.
Ce sont des mineurs de fond. Ils sont venus tout exprès de Denain, demandant, exigeant un congé, ils ont puisé dans leurs maigres économies pour se payer le voyage, et soudain, ce groupe de plusieurs dizaines d’hommes voit arriver le corbillard sur le quel repose le cercueil de Zola.
Un cri monte alors de leur cœur, qu’ils poussent tous ensemble « Germinal ! Germinal ! » et la foule reprend « Germinal ! ». C’est le défenseur des mineurs, l’homme qui leur avait donné une voix qu’on enterre, ce que certains avaient déjà oublié.
Les anti-dreyfusards baissent la tête, vaincus. Ils ont compris que Monsieur Zola restera dans la postérité, et qu’ils en seront les oubliés. Certains, peut être, ont ils pris le mesure du géant qui les quittait, de ce morceau de patrimoine français qu’on portait en terre, et, tout patriotiquement, se sont eux aussi laisser aller à crier « Germinal ! Germinal ! »
Guillaume Bailly