La semaine dernière, la police en a pris pour son grade, et c’est au tour de la gendarmerie pour cette petite histoire. Parce que si les gendarmes sont polyvalents et toujours précis, rigueur militaire oblige, il faut reconnaître que les cachets de cire, ce n’est pas leur truc.
Honneurs militaires
Je n’ai jamais eu le fin mot de l’histoire, mais la situation était la suivante : il y avait des scellés à poser sur un cercueil, et personne n’était disponible à la mairie. Le maire, pour une raison que nous n’avons jamais pu élucider, ne voulait pas, tout simplement, déléguer la pose des scellés aux croque-morts ou à un agent hospitalier.
Une solution finit par être trouvée : ce seraient les gendarmes qui viendraient poser les scellés. Pourquoi pas ? Ils étaient habilités à le faire, et la polyvalence fait partie de leur métier.
Le jour venu, la mise en bière s’était bien déroulée. Nous avions sorti les fleurs, ne laissant les compositions que de la veuve, des enfants et petits enfants du défunt, la famille proche était dans le vaste salon, l’équipe s’était disséminée aux coins de la pièce, presque invisible, mais prêts à agir quand le moment serait venu, et le Maître de Cérémonies, votre serviteur, attendait la gendarmerie à la porte du salon.
C’était le genre de convoi dur : la famille était très unie, le défunt était très aimé de tous, il avait mené une vie parfois difficile avec exemplarité et avait perdu son dernier combat, contre la maladie, sans jamais se plaindre. Le genre de convoi qui vous donnait l’envie que tout soit nickel.
Le véhicule des gendarmes arriva précisément à l’heure. Et tout l’équipage débarqua. Quatre gendarmes se dirigèrent d’un pas décidé vers le salon, et je sus à ce moment là que le convoi nickel, ce ne serait pas pour aujourd’hui. Je précédai les gendarmes dans le salon. De part et d’autres de la pièce, entourent le cercueil , la famille les regardait, étonnée.
Parce que les militaires partaient en patrouille, ou en intervention, ou que sais-je, mais on leur avait confié cette pose de scellés puisque c’était sur la route pour autre chose. Ils étaient donc en tenue de travail : treillis foncé, gilet pare-balles, arme à la ceinture, la totale. Trois des gendarmes s’arrêtèrent à l’entrée du salon, s’alignèrent en position de repos, entre la famille et la porte. Le quatrième, une vraie armoire normande enter les mains de qui le coffret qui contenait le nécessaire à scellés paraissait minuscule, se dirigea vers le cercueil, s’arrêta au pied de celui-ci, regarda la famille, et, d’une toute petite vois : « Bonjour, mes condoléances ».
Puis il ouvrit le coffret, jeta un coup d’œil à l’intérieur, se tourna vers nous et chuchota à haute vois, vous savez, ce genre du chuchotement que tout le monde entend distinctement « quelqu’un a du feu ? ». Le salon fut alors empli un instant du bruit de dizaines de mains palpant des dizaines de poches.
On finit par trouver un briquet, et le gendarme posa les scellés dans un silence de plomb. La famille jetait des regards en coin à ses collègues, qui commençaient à se trémousser. Clairement, ils avaient compris que le débarquement en force et en tenue n’était pas adéquat.
Enfin, le moment de gêne prit fin. Les gendarmes saluèrent respectueusement, et sortirent, un peu gênés. Le silence se prolongea un peu, quand la veuve, avec un petit sourire, se tourna vers moi, et demanda, désignant un peu de cire que le militaire avait fait couler à terre « c’est donc ça qu’on appelle une bavure ? ».
Et pour beaucoup, ce fut la première fois depuis le décès, l’avant-veille, qu’ils se permirent un petit rire. L’ambiance du convoi s’allégea un peu, et finalement, tout fut nickel.