Dessin de Willy Stöwer.
Si l’histoire du Titanic continue à fasciner aussi bien le public que les chercheurs, certaines voix s’élèvent pour protester contre son exploration. Ce serait une profanation du tombeau de victimes du naufrage. Pourtant, ce n’est pas le cas.
Et à la fin, le bateau coule
Les passionnés du Titanic, il y en a des bons et des mauvais, comme les chasseurs des Inconnus. Le bon amateur du Titanic, il voit passer un titre, il lit, ou il regarde, ou il écoute, peu importe, quand il voit ou entend Titanic, son attention est aussitôt captée. Le mauvais amateur, quand il voit ou entend Titanic, Céline Dion se met à chanter dans sa tête.
Et, honnêtement, pour les fans du film de James Cameron, on se fiche de savoir si il y avait une ou deux places sur cette porte et si Jack Dawson aurait pu être sauvé. Il n’avait aucune chance d’être sauvé, tout simplement parce que le scénariste avait décidé que Jack Dawson, joué par Leonardo Di Caprio, devait mourir à la fin. C’est un personnage de fiction, le scénariste pouvait donc faire ce qu’il voulait.
Personnage de fiction, même si, au cimetière de Halifax, où sont inhumés les corps retrouvés des victimes, il y a une tombe qui porte le nom de Jack Dawson, constamment fleurie. Qui n’a rien à voir avec celui du film : celui-là était chauffeur, il pelletait du charbon dans la cale du Titanic.
Et il y aurait un autre cimetière, l’épave elle-même. C’est du moins ce qu’expliquent quelques personnes opposées à la remontée d’objets lors des explorations de l’épave.
Et c’est faux. Mais cette campagne a une raison d’être.
Mauvais perdant ?
La découverte de l’épave du Titanic, en 1985, est faite conjointement pas Jean Louis Michel, de l’IFREMER, institut français, et Robert Ballard. Pour l’institut Océanographique Wood Holes. Et la mission n’est pas du tout la recherche de l’épave. Le but de la mission, financée par la marine des Etats-Unis, était de localiser les restes de deux sous marins nucléaires américains.
Le contrat était simple : la marine américaine payait un forfait, correspondant à un certain nombre de jours de recherche, durant lesquels l’expédition devait localiser les deux submersibles naufragés. Si, une fois la mission accomplie, il restait des jours, les chercheurs pouvaient en disposer pour mener leurs propres recherches civiles. La mission fut accomplie, et, cerise sur le gâteau, Michel et Ballard trouvèrent le Titanic.
De retour sur la terre ferme, Ballard revendique le droit, devant le congrès américain, de remonter des objets de l’épave. Jon Hollis, président de la Titanic Historical Society, plaide pour que l’autorisation ne lui soit pas accordée, ni à lui ni à un autre, plaidant que le bateau est le lieu de dernier repos des 1500 victimes. Le congrès coupe la poire en deux : aucune remonté d’objets tant que des règles claires n’ont pas été établies.
Celles-ci le seront en 1987. Entre temps, Robert Ballard a participé à une autre expédition sur l’épave, mais d’où rien n’a été remonté, faute d’autorisation.
Autorisation qui vient en 1987, avec une expédition menée conjointement par l’IFREMER et deux instituts américains. Laquelle expédition fait l’objet d’une campagne de critiques, avec l’argument principal : le Titanic est un tombeau, laissez le en paix. Campagne qui a pour chef de file Robert Ballard. Finalement, l’expédition a bien lieu, et des objets seront remontés, en suivant des règles strictes.
Titanic, tombeau ou pas tombeau ?
Alors, fouiller le Titanic, est-ce profaner une tombe ? La réponse est apportée par Paule Henri Nargeolet. Vous avez certainement entendu ce nom : il est l’expert du Titanic mort dans le naufrage du sous marin de poche « le Titan » le 18 juin 2023. Mais il a surtout dirigé plusieurs campagnes sous-marines d’exploration de l’épave entre 1987 et 2021.
Et il l’explique très bien dans son livre « Dans les profondeurs du Titanic », chez Harper Collins Poche, il n’y a aucun corps sur le bateau. Déjà parce que l’acidité et la pression du lieu où il repose aurait intégralement détruit les tissus et les os depuis le temps, mais surtout, parce qu’il ne restait personne à bord.
La plupart des victimes sont mortes de froid, dans l’eau glacée, et leurs corps ont dérivés dans les champs de glace. Quand à ceux qui étaient restés dans le bateau, très rares, ils ont été éjectés lorsque celui-ci s’est brisé en deux et a sombré. Le tombeau des victimes est donc l’océan, le bateau, quand à lui, est l’arme du crime. Plus ou moins. Mais les spécialistes sont formels : il ne reste plus rien, même pas un os, sur le champ de ruine qu’est l’épave du Titanic.
Au contraire : l’exploration de l’épave et la remontée d’objets, qui sont ensuite constitués en collections exposées dans les musées, sont un moyen très efficace de faire vivre la mémoire de ce drame, et, par conséquents, d’entretenir le souvenir des 1500 victimes. Et tant qu’une exploitation plus mercantile n’en sera pas faite, ça restera le cas.
Guillaume Bailly