Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788. Louis Hersent,

Un convoi en 1785

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l’hiver de 1788. Louis Hersent,

Cette saynète est une pure fiction, qui repose sur des descriptifs précis. Si ce convoi précis n’a donc jamais eu lieu, il reflète pourtant exactement le déroulement d’obsèques particulières à l’aube de la Révolution.

Les jolis convois du temps jadis

Le fils de la défunte frappa à la porte du croque-morts en fin d’après-midi. Ce dernier, occupé à polir une planche de bois, se doutant que c’était pour des obsèques, fit signe à son apprenti d’aller ouvrir. Il entendit des voix, sentit le froid, et beugla depuis sont établi : « Entrez, bon sang, le marchand de charbon est bien assez riche ! ».

Il faut dire que cet hiver 1788 était particulièrement froid. La France était sous la neige, de la frontière belge aux plages de Méditerranée. La Seine était gelée.

« Qu’est-ce qui vous amène, Monsieur ? » s’enquit le croque-morts.

« Ma mère est morte »

« Ah, il faut aller voir Monsieur le curé » répondit le croque-morts.

« C’est lui qui m’envoie, Monsieur. Ma mère ne peut pas être enterrée en terrain consacré. »

« Ah » dit le croque-morts « Et pourquoi donc ? »

Le fils de la défunte jeta un regard vers l’apprenti, se pencha vers le maître de maison, et murmura « Elle était divorcée ».

L’époque n’était pas propice à la chose. Les tribunaux pouvaient prononcer des séparations de corps et de biens, pour des mauvaises conduites, atteintes aux mœurs ou mauvais traitements, mais allaient rarement jusqu’à prononcer le divorce. Et même justifié, l’église ne le tolérait tout simplement pas.

L’inhumation des divorcés se faisait de nuit, dans des cimetières ouverts depuis une loi de l’année passée, qui permettait à ceux qui n’étaient pas admis en terre consacrée de pouvoir être inhumés dans « un terrain convenable et décent … à l’abri de toute insulte »

« Bon, on va faire ça au nouveau cimetière. Donnez moi l’adresse. »

Le croque-morts finit son ouvrage, la réparation d’une porte de buffet. Il était avant tout menuisier. Puis il enfila sa houppelande, et fit signe à son apprenti de le suivre.

Cheminant péniblement dans la neige épaisse, ils parvinrent au domicile, une modeste maison au fond d’une ruelle. La défunte reposait dans l’unique pièce, sur la table. Assis tout autour, sur des bans autour des murs, ses enfants engrenaient des chapelets.

Le croque-morts sortit un ruban, et mesura la défunte. Puis il fit signe au fils, et les deux palabrèrent un instant. Il fut convenu que l’infortunée se verrait inhumée dans une bière à six pans, pour neuf francs, et un cercueil pour trente huit francs. Le croque-morts fournirait également une tenture de porte, pour trente francs, un corbillard attelé de deux chevaux pour trente six francs, plus neuf francs pour lui-même et son apprenti.

L’apprenti et le maître revinrent une heure plus tard pour installer le matériel. Les obsèques seraient réalisées vite, même si, en cet hiver rigoureux, la décomposition n’était pas trop gênante.

Le lendemain, comme convenu, à la nuit tombée, le corbillard quitta discrètement le dépôt du croque-morts. Arrivés au domicile, le maître et l’apprenti déchargèrent le cercueil, et entrèrent dans la maison.

Une fois sur place, ils ouvrirent la boîte funeste à terre, y déposèrent la défunte, puis hissèrent le cercueil sur la table. Là, ils positionnèrent le couvercle, puis le clouèrent. Enfin, après avoir adressé un signe de tête au fils aîné, ils chargèrent la bière dans le corbillard, croque-mort à la tête du cercueil et apprenti aux pieds.

Le convoi s’achemina jusqu’au cimetière pour les discrètes obsèques. Dans les rues sombres, on devinait quelques silhouettes qui suivaient le convoi à pied.

Le cimetière était un simple terrain de terre, cerclé de hauts murs. Là attendait le fossoyeur, dont la lanterne constituait la seule source de lumière. Les croque-morts déchargèrent le cercueil et le posèrent devant la fosse. Chaque participant passa devant la bière, et la toucha du bout des doigts.

Enfin, quand tout le monde fut passé, les deux croque-morts, le fossoyeur, et le fils de la défunte, passèrent des cordes sous la boîte, pour ensuite la descendre dans la fosse. Une fois fait, ils remontèrent les cordes, et l’assistance passa à nouveau devant la tombe, chacun jetant une poignée de terre.

Avant de partir, le fils du défunt glissa cinq francs au fossoyeur, afin que celui-ci rebouche rapidement le trou et s’assure de tasser la terre pour lui donner l’aspect d’une tombe moins récente. Il s’assurait aussi qu’une fois la famille repartie, le fossoyeur ne revendrait pas le cadavre à des carabins.

Sur le chemin du retour, le croque-morts dit à son apprenti, lui tendant des pièces « Voilà tes trois francs. Soit là de bonne heure demain, on doit préparer les obsèques d’une duchesse, tu verras, c’est autre chose. Un enterrement de première classe, il y en a pour deux mille francs. »

« C’était une femme pieuse ? » s’enquit l’apprenti, qui était croyant.

« Certainement moins que celle qu’on vient d’enterrer. Mais elle payait mieux son confesseur, certainement. »

« J’ai entendu un avocat dire qu’il faudrait que chacun puisse être enterré à égalité. »

« Et bien laisse moi te dire que c’est pas demain la veille, et que cet avocat est un idiot. Qui est ce fieffé ? »

« Je ne sais pas, il achetait du charbon en même temps que moi. Je n’avais jamais entendu son nom avant. Un certain Monsieur Danton ».

Guillaume Bailly

Commentaire “Un convoi en 1785”

  1. TB récit Merci Guillaume pour cette plume alerte, légère et décomplexée sur l’aspect financier des métiers des PF

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