Dictionnaire

Pourquoi on dit crématiser, et pourquoi c’est correct

Le verbe le plus couramment utilisé en français pour désigner la sublimation d’un corps humain par le feu est incinérer. Et pourtant, c’est incorrect. Le verbe utilisé par les pompes funèbres, crématiser, est en réalité le seul acceptable pour un corps humain. Et depuis un petit moment.

Un sujet brûlant

Pendant des années, votre serviteur s’est régulièrement agacé devant le journal de 20 H, lorsque le présentateur ou la présentatrice expliquait que telle célébrité était morte et qu’elle serait incinérée. J’ai même envoyé, plusieurs fois, des lettres à la rédaction. Heureusement, la situation a changé depuis : je ne regarde plus le JT.

Parce que, si la majorité des gens utilisent « incinérer » pour parler de la destruction d’un corps humain par le feu, le terme correct est celui qui est utilisé par les pompes funèbres, à savoir crématiser.

Crématiser est un verbe transitif du premier groupe. Il désigne l’action de brûler un corps humain. Il vient du latin cremo, qui signifie « brûler, réduire en cendres », mais aussi, plus spécifiquement, « faire un bûcher funéraire ».

Le participe passé de cremo est crematus, qui a donné par dérive linguistique crematio, toujours en latin. Dans la langue française, cela a donné le verbe crêmer, et l’action de crêmer est la crémation. On y vient.

On entend souvent que la crémation est une invention linguistique récente (lorsque la crémation a été légalisée à la fin du 19ème siècle puis a commencé à se démocratiser dans les années 1970, effets sur les plus jeunes générations du concile Vatican II) que les pompes funèbres tenteraient d’imposer dans le langage. C’est faux : la première occurrence de la crémation en tant que mode de sépulture spécifique à l’humain date des environs du 11ème siècle.

Et si vous vous posez la question, oui, crémation et cramer ont la même racine. Le latin cremarer a donné le terme cremar en langue occitane, qui, par déformation dans le reste de la France, a ensuite conduit à la forme « cramer ».

D’accord, le terme crémation est donc bon, étymologiquement. Mais pourquoi devrait-il être le seul employé, alors qu’incinérer désigne peu ou prou la même opération ? Pour des questions d’usage.

Parce que le terme crémation est devenu, depuis son apparition, la désignation quasi-exclusivement réservée à la sublimation d’un corps humain par le feu à des fins funéraires. On peut parler de crémation pour autre chose (« j’ai procédé à la crémation de mon premier essai de roman, parce que, franchement, c’était nul ») mais avec un usage emphatique et peu répandu, confinant au procédé littéraire.

Incinérer, au contraire, est répandu, et s’applique autant à un corps humain qu’à vos poubelles.

Donc, nous avons d’un côté le terme crémation, qui désigne spécifiquement l’opération funéraire et qui est choisi par les professionnels, et de l’autre le terme incinération, qui désigne à peu près tout et n’importe quoi est qui est appliqué tous les jours par la déchetterie proche de chez vous à vos ordures ménagères. Reste à choisir celui que vous préférerez pour les êtres qui vous sont chers.

Par respect, c’est le terme crémation qui doit s’appliquer. Si vous utilisez le terme incinération, d’un point de vue linguistique, c’est correct, mais d’un point de vue social, cela fera de vous une personne très mal élevée.

Guillaume Bailly

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