seniors heureux

Vous ne vivez pas vieux, ça paraît juste long

Vous connaissez les prix IGNobel ? Cette récompense humoristique avec un fond sérieux récompense des personnalités qui ont publié des travaux parfois étranges, a distingué, entre autres, cette année, Saul Justin Newman. Il s’est demandé pourquoi on vivait vieux à certains endroits plus qu’à d’autres. Pour en conclure que, effectivement, on y mourait vieux, mais quand même très jeune.

Ce rêve bleu n’existe pas

Quel est le secret des « zones bleues » du monde, célèbres pour la longévité exceptionnelle de leurs habitants et leur proportion élevée de centenaires ? Selon Saul Justin Newman, chercheur à l’University College de Londres, il s’agirait en réalité d’une fumisterie, fondée sur des données erronées et souvent falsifiées.

Le terme de zones bleues a été inventé en 2004 pour désigner des régions où les habitants vivraient plus longtemps et en meilleure santé qu’ailleurs. La Sardaigne, en Italie, a été la première identifiée comme telle, suivie des îles japonaises d’Okinawa et de la ville californienne de Loma Linda. Depuis, l’engouement autour de ces zones a alimenté un véritable commerce florissant : conseils diététiques, modes de vie « miracles », compléments alimentaires, gadgets technologiques… Tous promettant un accès à la longévité.

Pourtant, Mr Newman remet tout cela en question. « Les données existantes concernant les êtres humains les plus âgés sont bidon, à un degré vraiment choquant », a-t-il affirmé à l’AFP, utilisant un langage efficace, mais inhabituel dans les milieux scientifiques.

Ses recherches, actuellement en cours d’évaluation par des pairs, ont analysé des données concernant des centenaires et des « supercentenaires » (personnes ayant atteint 110 ans) aux États-Unis, en Italie, en Angleterre, en France et au Japon. À sa grande surprise, il a découvert que ces supercentenaires provenaient souvent de régions où les niveaux de pauvreté sont élevés, la santé médiocre et les registres d’état civil peu fiables.

Lors de la remise de son prix IgNobel en septembre dernier, une récompense scientifique humoristique attribuée à des travaux inhabituels mais stimulant la réflexion, Newman a résumé sa conclusion de manière ironique : « Le secret d’une longévité extrême semble être de s’installer là où les actes de naissance sont rares et d’apprendre à ses enfants à frauder pour percevoir une pension de retraite. »

Ce prix, qui parodie les prestigieux Nobel, récompense des chercheurs dont les études amusent d’abord, mais invitent ensuite à une réflexion sérieuse. Lors de la cérémonie, Newman a illustré son propos en citant des fraudes avérées, comme celle de Sogen Kato, un Japonais longtemps considéré comme le doyen de son pays, avant que ses restes momifiés ne soient découverts en 2010 : il était en réalité mort en 1978. Pendant plus de 30 ans, des membres de sa famille avaient continué à percevoir sa pension, ce qui a conduit à leur arrestation.

Cette affaire a révélé l’ampleur du problème. Une enquête gouvernementale japonaise a ensuite démontré que 82% des centenaires recensés dans le pays, soit environ 230 000 personnes, étaient portés disparus ou décédés depuis longtemps. « Leurs documents sont en règle, ils sont tout simplement morts », ironise Newman, pointant du doigt la difficulté de vérifier l’authenticité de registres anciens.

De même, au Costa Rica, une étude de 2008 a révélé que 42% des personnes se déclarant centenaires avaient menti sur leur âge. En Grèce, les données de 2012 analysées par Newman indiquent que 72% des centenaires enregistrés étaient en réalité morts, n’étant « en vie » que pour toucher leur pension. Pour lui, tout le mythe des zones bleues repose sur ces défaillances administratives.

Les démographes et défenseurs des zones bleues rejettent catégoriquement ses conclusions, les jugeant « irresponsables sur le plan éthique et académique ». Ils affirment avoir méticuleusement vérifié l’âge des supercentenaires grâce à des documents historiques remontant jusqu’au 19ᵉ siècle. Mais selon Newman, cet argument valide plutôt ses propos : « Si l’on part d’un acte de naissance erroné et qu’on le recopie dans d’autres documents, on obtient des dossiers parfaitement cohérents… mais parfaitement faux. »

En conclusion, M. Newman déconseille de succomber aux promesses commerciales des zones bleues. Pour vivre longtemps, « commencez par ne rien acheter qui vous promet une longue vie. Écoutez votre médecin, faites de l’exercice, ne buvez pas, ne fumez pas, c’est tout », tranche-t-il avec une pointe d’ironie.

Et avec tout ça, on vivra vraiment plus vieux ? En tout cas, ça paraître beaucoup plus long.

Guillaume Bailly

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *