Une affaire récente à Montpellier, une personne âgée dont la famille a du attendre 11 heures pour qu’un médecin constate le décès, remet en lumière un problème de plus en plus crucial. Et que les formule magiques ne suffiront pas à résoudre.
Docteur fantôme
L’affaire est révélée par le Midi Libre, mais, si elle est mise en exergue grâce au travail d’un journaliste et à la volonté de la famille de soulever un vrai problème, arrive chaque jour en France.
Une dame âgée, 95 ans, maintenue en soins palliatifs à domicile, une volonté de sa famille pour qu’elle puisse mourir chez elle plutôt qu’à l’hôpital, décède. Le médecin traitant étant en congés, et pas remplacé, la famille contacte le SAMU, et un opérateur cherche un médecin qui puisse aller dresser le bleu, le certificat de décès.
Malgré toute la bonne volonté et l’énergie déployée par les opérateurs, il faudra 11 heures pour que le décès soit constaté. Précision du Midi Libre : cette histoire n’arrive pas dans un désert médical.
Et le problème, c’est que si ce genre d’affaire est parfois médiatisée, aux pompes funèbres, à certains endroits et/ou certaines périodes de l’année, c’est quasiment la routine.
Les solutions ? Elles existent. Et chacun de prier le dieu Yakafaukon, pour abattre le vilain numerus clausus ou permettre aux infirmiers de signer les bleus. Il y a de l’idée. Pas de la bonne idée, mais il faut bien commencer quelque part.
Clausus le numerus
Le numerus clausus. Le fameux. C’est quoi ? C’est un nombre limite de postes, en l’occurrence ici de place en deuxième année de médecine, déterminé par l’autorité pour que les moyens soient conformes aux besoins.
Et donc, il suffirait d’élargir, voir même de supprimer, le numerus clausus pour pallier au manque de médecins. Simple ? Non. Non, parce que le numerus clausus n’existe plus depuis 2021. La génération actuelle va donc pouvoir étudier la médecine, avec tout de même un niveau d’exigence élevé, ce qui est rassurant. Sauf que former un médecin, c’est 9 ans d’études.
Le problème sera donc résolu en 2030 ? Non plus.
Parce que, dans les faits, le numerus clausus existe toujours en pratique, même s’il a été supprimé en théorie.
Les études de médecine ne consistent pas à passer neuf ans à la faculté à écouter des profs. Il y a l’internat, des stages etc. et, pour faire simple, l’impétrant toubib va pratiquer sous la supervision de vétérans, et apprendre autant de leur expérience que dans les livres. Durant la période d’externat, ils doivent découvrir un certain nombre de services, certains étant obligatoire. Puis vient l’internat, où il exerce ce qu’il a appris, sous la supervision d’un médecin expérimenté.
Et pour tout cela, il faut des places. Il faut des postes dans les hôpitaux pour accueillir et encadrer les internes, il faut aussi de la place dans les facs pour former tous ces gens, parce que, arrivé à un certain niveau, le cours magistral en amphi devant 600 étudiants n’est plus adapté.
Et, vous en avez peut-être entendu parler, l’hôpital français ne va pas très fort. De nombreuses facultés de médecine continuent donc d’appliquer un numerus clausus tout simplement parce qu’elles n’ont pas les moyens d’assurer à leurs étudiants des conditions d’études correctes.
Supprimer le numerus clausus, donc, c’est bien, mais largement insuffisant. Il faut une réforme globale de l’hôpital, et ça, ce n’est pas gagné.
Au passage, certains se félicitent de voir arriver des médecins étrangers, souvent d’Afrique ou du Maghreb, pour pallier à nos carences. Il est vrai que c’est aimable de la part de ces pays de nous envoyer du personnel médical dont ils n’ont aucune utilité, leurs pays d’origine étant notoirement dépourvus de maladies ou de besoins médicaux de quelques sortes que ce soit. Pour les lecteurs qui ne sont pas rompus à l’exercice, la phrase précédente contient de l’ironie.
Infirmer le rôle de l’infirmier
Autre idée proposée par l’article, permettre aux infirmiers de signer les bleus. Et oui, effectivement : les infirmières et infirmiers ont une formation solide, de l’expérience, et ils sont parfaitement aptes à constater un décès.
Sauf que… Les six ans minimum de différence d’études entre les médecins et les infirmiers permettent de faire la différence sur les signaux faibles. Il est bizarre, cet infarctus. Il est étrange, ce suicide. Sur le décès d’une vieille dame en soins palliatifs chez elle, d’accord, mais sur une personne dans la force de l’âge, un infirmier saura-il émettre une réserve médico-légale ? Ou, à l’inverse, ne risque-t-il pas, par excès de prudence, de saturer les IML en y envoyant tout le monde ?
Pire : un homme de 75 ans rentre de vacances et décède soudainement chez lui. Un infirmier est-il apte à détecter le patient zéro d’une nouvelle maladie exotique qui va exterminer les trois quarts de l’humanité ? D’accord, cet exemple est extrême, mais… Il suffit d’une fois.
Cela dit sans vouloir faire de la peine aux infirmiers qui sont, il faut le rappeler, éminemment compétents. Rien n’empêche, c’est vrai, de créer un cursus infirmier spécifique, avec une formation supplémentaire, comme il existe, par exemple, des infirmier anesthésistes aussi compétents que des médecins.
Mais, encore une fois, à condition de faire des efforts en matière budgétaire. Soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? Non, je ne vois que le ciel qui rougeoie et le porte-monnaie qui se vidoie.
Une nouvelle fois, le dieu Yakafaukon s’est montré décevant : il a répondu à nos prières, alors qu’on lui demandait des budgets.
Guillaume Bailly