Le mercredi 11 mai, lors d’un match de football qui opposait Nice à Saint-Etienne, les supporters niçois ont entonné un chant manquant de respect à la mémoire d’Emiliano Sala. Puis ont invoqué le second degré. Excuse qui ne tient pas et pourrait même démontrer la déliquescence de notre civilisation, rien de moins.
Le respect, les morts
C’est lors d’une partie de ballon-pied ordinaire que le chant de la honte a été entonné.
Une partie de ballon-pied ordinaire, il faut le préciser, ce ne sont pas 22 joueurs motivés qui s’affrontent loyalement sous les encouragements de supporters bonhommes. Les insultes fusent régulièrement, surtout du côté des « ultras », ces groupes de supporters qui ne vivent que pour leur équipe. Et le comportement des joueurs sur le terrain n’est pas toujours exemplaire non plus.
Certaines études ont d’ailleurs soutenu la thèse que lesdits « ultras » se soucient, finalement, assez peu du sport : ce qui compte avant tout, c’est le sentiment d’appartenance à un groupe, réuni derrière un totem, l’équipe, ce qui engendre un comportement de meute. Mais c’est une autre histoire.
Lors de ce match, donc, est entonné un chant, « Emiliano sous l’eau », manquant clairement de respect à la mémoire d’Emiliano Sala, joueur de Nantes décédé dans un accident d’avion au dessus de la Manche. Une chanson parodiant un autre chant, d’hommage cette fois-ci, des Nantais. Le rapport ? Quatre jours avant, les Niçois ont perdu un match face à Nantes.
Cet hymne irrespectueux a fait scandale, jusqu’aux rangs niçois : le soir-même, en conférence de presse, l’entraîneur de Nice a souligné sa stupeur et sa honte, condamnant sans ambiguïté et présentant ses excuses en son nom et en celui de son équipe.
Se sentant alors menacés, et pressentant qu’ils ont passé les bornes, les ultras Niçois publient un communiqué absolument lunaire.
Les ultras y expliquent tranquillement que ça fait 37 ans qu’ils supportent Nice, et qu’ils trouvent que les réactions sont disproportionnées pour « une erreur, puisse-t-elle paraître énorme ou non selon les pensées de chacun ». Finissant par expliquer que le « second degré » fait partie de l’identité des ultras.
Il en ressort au final que ces gens ne semblent pas très bien comprendre ce qu’ils ont fait de mal. Et c’est grave.
L’intention fait la faute
Et il est vrai que, de prime abord, il sera assez facile d’objecter qu’il n’y a pas de différence entre des supporters de ballon-pied qui se moquent d’un joueur adverse mort et des humoristes qui enchaînent les blagues sur des défunts, allant d’un petit garçon mort dans la Vologne qui a donné lieu à une affaire judiciaire célèbre, entre autres. Et ne parlons même pas de Pierre Desproges, référence absolue de l’humour noir.
Où est la différence ? L’intention.
L’humour noir est, selon la définition communément admise, « une forme d’humour qui souligne avec cruauté, amertume et parfois désespoir l’absurdité du monde ». Il a pour but de provoquer un rie, ce que d’aucuns appelleront avec une pointe de snobisme « un rire intelligent » parce qu’il prête, pour qui le souhaite, à réfléchir.
Ce qui n’est pas le cas du chant des supporters niçois : son but est de rire au détriment du malheur d’un autre avec un esprit revanchard suite à une défaite. Son objectif est de donner à souffrir, pas de prêter à rire.
Et, du point de vue du monde dans lequel on vite, c’est inquiétant. D’une part, parce que ça signifie que certains, aujourd’hui, sont incapables de faire la nuance entre ce qui est une forme d’humour et l’insulte pure et simple.
Ensuite, parce que c’est manquer de respect à la mémoire d’un mort selon les critères socialement acceptés sans que cela paraisse important. Pourtant, archéologues, historiens, ethnologues vous le diront : l’apparition de coutumes funéraires et la marque de respect aux défunts est un marqueur important entre ce qui est une civilisation et ce qui n’en est pas.
Le pire, en définitive, n’est pas que les ultras niçois aient passé les bornes. C’est qu’ils ne sachent même plus qu’il existe des bornes.
Guillaume Bailly