Histoires d’été : Harold Shipman (2/2)

Pendant la trêve estivale, l’actualité du funéraire étant plu calme, nous vous proposons des histoires tournant autour du funéraire et de l’histoire. Des histoires vraies, bien entendu. La suite du premier épisode sur Harold Shipman (à lire ici, sinon vous n’allez rien comprendre).

Allo, docteur ?

Le directeur du salon funéraire de Broadoak, à Hyde, petite commune de la grande banlieue de Manchester, était habitué au calme et au recueillement souhaité dans ce genre d’endroit. Aussi fut-il surpris, et un peu contrarié, de voir débarquer plusieurs voitures de police et un fourgon de la morgue pour précéder à une saisie du genre particulier : celle d’un corps. Et d’une pensionnaire prestigieuse, de surcroît.

            Kathleen Grundy n’était pas n’importe qui. Elle avait été maire de Hyde, et était restée active, après sa retraite, dans la communauté, dont elle était une figure respectée. A 81 ans, elle en paraissait dix de moins, et son dynamisme associé à une santé de fer faisait l’admiration de tous. Son décès soudain fut donc une surprise.

            Et la surprise de sa fille, avocate, fut encore plus grande lorsqu’elle se rendit au domicile de s amère afin d’y collecter des papiers que lui avaient demandé les pompes funèbres. Sur le bureau de sa mère trônait un testament qui faisait du Docteur Shipman l’héritier de la défunte, qui était fort riche.

            Il allait donc se passer ce que le Docteur avait passé sa vie à éviter qu’il se passât : une autopsie. Et celle-ci révéla que Kathleen Grundy était en pleine forme. Elle n’avait aucun souci de santé, des artères larges et dynamiques, un coeur solide, des poumons et un foie sain, aucune trace de maladie. Bref, elle aurait pu vivre encore un bon bout de temps si quelqu’un ne lui avait pas injecté une dose massive de diamorphine.

            La diamorphine est un antidouleur très, très puissant, utilisé dans des cas de douleur sévères. Avec retenue, parce qu’il provoque des hallucinations et une accoutumance immédiate et sévère. Notez que le nom diamorphine est utilisé par la médecine parce que son autre nom, plus connu, pourrait faire peur : l’héroïne.

            Donc, la police se retrouvait en possession d’un testament grossièrement falsifié, d’une victime morte d’une overdose d’héroïne suffisante pour coucher, non pas un cheval, mais tout un haras, et un suspect en or massif. Qu’ils décidèrent de ne pas boucler tout de suite, pour verrouiller un bon dossier. Parce que, tout d’abord, il fallait s’interroger sur la personnalité du bon docteur.

Né en 1946, Harold Shipman est un enfant brillant, mais timide et solitaire. Issu de la classe ouvrière, il fut remarqué pour ses excellents résultats scolaires et bénéficia de bourses qui lui permirent de mener à bien ses études de médecine. Il rencontra son épouse en 1966, et ils eurent quatre enfants.

            Dans la vie apparemment sans tâches du médecin, on ne trouve presque rien. Un évènement traumatique, la mort de sa mère, dont il avait toujours été l’enfant préféré, lorsqu’il était âgé de 17 ans. Vera Shipman avait succombé à un cancer, et son fils Harold était resté à ses côtés jusqu’au bout, ce qui avait sans doute décidé de sa vocation pour la médecine.

            Et une petite entorse à cette vie irréprochable : en 1975, il avait été arrêté en possession d’ordonnances pour de la pethidine, un antalgique qu’il consommait. Il lui avait été laissé le choix entre une radiation de l’ordre des médecins ou une cure de désintoxication, solution qu’il avait bien entendu choisie. Quelques mois plus tard, il était considéré comme sevré et repris le cours de sa vie sans plus jamais faire parler de lui. Du moins, jusqu’en 1998.

Le 7 septembre 1998, l’enquête de police fut remise au juge, qui ordonna immédiatement l’arrestation de Harold Shipman. Les policiers et les médecins légistes étaient remontés aussi loin qu’il était techniquement possible, et ils détenaient suffisamment de preuves pour attribuer avec certitude 15 meurtres au docteur diabolique.

            Mais ils ne pouvaient pas aller plus loin, faute de traces restantes dans les corps plus anciens. Sans doute avait il commis plus de crimes, impossibles à prouver, du moins selon les critères du droit britannique.

            Le 31 janvier 2000, Harold Shipman est reconnu coupable de 15 assassinats, et écope d’autant de peines de prison à vie.

Mais la condamnation de Shipman ne mit pas fin à l’affaire. La presse se déchaîna contre les pompes funèbres, considérées comme complices plus ou moins involontaires des crimes du docteur.

            Harold Shipman avait une technique bien à lui : il assistait aux obsèques de ses patients, ce qui n’est pas tellement surprenant. Durant la cérémonie, il s’arrangeait pour discuter avec les pompes funèbres et tissait avec eux des liens de sympathie.

            A ses patients touchés par le deuil, le docteur recommandait des pompes funèbres, sans rien attendre en retour. De cette façon, il établit rapidement des liens d’amitié et de confiance avec les entrepreneurs locaux, qui ne se posaient pas de questions devant l’afflux de patients qui leur parvenait du docteur. Alan Massey était une exception, et encore, il mit dix ans à soupçonner Shipman.

            A ce stade, peut être vous demanderez-vous depuis quand Shipman tuait, et combien d’autres victimes ne purent lui être attribuées, fautes de preuves. L’affaire avait eu un tel retentissement en Angleterre que Tony Blair, le Premier Ministre, commanda un rapport. Celui-ci lui fut rendu en 2002, après une étude sérieuse de la carrière de Shipman.

            Le rapport concluait que celui-ci avait commencé son œuvre criminelle en 1970, à peine diplômé. On pouvait lui attribuer avec une grande certitude 215 assassinats. Il existait une probabilité pour qu’il ait tué jusqu’à 400 personnes. Ces chiffres feraient de Harold Shipman le tueur en série le plus prolifique de l’histoire.

Restait une question : pourquoi ?

            Ni lors de ses interrogatoires, ni à son procès, pas plus devant les policiers, les magistrats et les psychiatres, Harold Shipman ne donna d’explication pour ses gestes. Il s’enferma dans le silence aussitôt qu’il compris que les preuves contre lui étaient accablantes et n’en sortit pas.

            Shipman fut écroué à la prison de Wakefield, surnommée « Monster Mansion », le « Manoir des Monstres » à cause des meurtriers très médiatiques qui y sont regroupés.

            Le 13 janvier 2004, veille du 58ème anniversaire de Harold Shipman, un gardien le retrouva pendu par ses draps aux barreaux de la cellule qu’il occupait seul.

Guillaume Bailly

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