station de ski

La mort des statistiques

Rien de tel qu’un bon exemple pour illustrer un propos ? C’est un vieux truc utilisé par tous ceux dont le métier est de raconter une histoire : privilégier l’identification au personnage. Et, en matière de mort, c’est particulièrement efficace.

Effet de zoom

La disparition soudaine de l’acteur Gaspard Ulliel a bouleversé le public. Il était difficile d’échapper à l’acteur : les films dans lesquels ils tournait bénéficiaient souvent d’une belle couverture médiatique, et il était, de surcroît, l’égérie de la maison Dior, apparaissant dans bon nombres de publicités.

Ce qui rend sa mort d’autant plus tragique, c’est son côté absurde. Qui meurt en allant faire du ski ? Et bien, si l’on va faire un tour du côté des statistiques, entre 10 et 14 personnes par an décèdent de traumatismes liés à un accident de ski, hors victimes d’avalanches. Certes, ce n’est pas banal, mais ce n’est pas non plus absolument extraordinaire.

D’un point de vue strictement pragmatique, on peut considérer que cette douzaine de morts en moyenne est le seuil de décès inévitables malgré toutes les précautions prises. Le seul moyen de les éviter, c’est soit entourer la pratique du ski d’un tel luxe de précautions que tout plaisir en disparaîtra, soit interdire cette pratique.

C’est ce qui est fascinant dans le traitement que certains médias font de cette mort et de la façon dont le public le reçoit. Certains journalistes ont fait un sujet sur ces accidents de ski, sujets d’ailleurs tout à fait pertinents, il et bon de rappeler qu’ils existent. Les commentaires sont instructifs : un nombre non négligeable de personnes s’interrogent sur « comment peut-on éviter ça ? » et « pourquoi personne ne fait rien ? ».

Mais des gens font des choses. Des équipementiers travaillent sans cesse sur l’amélioration du matériel pour renforcer la sécurité, les autorités soignent les indications sur les pistes et les régalements pour que chacun aie un cadre sécurisant. Ce qui n’empêchera jamais personne d’enlever son casque, ou de sortir de piste, ou juste de manquer de chance.

L’aileron du doute

Il y a quelques années, vers 2004, une succession d’attaques de requins firent sept morts en différents points du globe. Pendant plusieurs semaines, l’espace médiatique et les conversations ne tournaient qu’autour de la question : « comment empêcher ça ? ». Il fut même évoqué la possibilité d’exterminer les squales.

En 2005, on passa à autre chose. Pourtant, le nombre moyen d’attaques de requin dans le monde ne diminua pas, il resta stable, d’après l’observatoire mondiale des attaques de requin. Ce qu’il est important de signaler, c’est qu’il n’y avait pas eu un pic en 2004 : on était sur la moyenne, entre 60 et 70 attaques, entre quatre et dix morts. Simplement, un média local avait fait le portrait d’une victime, qui avait été reprise par la presse, et, lors des attaques suivantes, le schéma avait été repris.

Ce n’était plus un surfeur qui avait été attaqué, mais une personne, avec un nom, un visage, une vie qui nous était raconté, une famille éplorée qui témoignait que c’était un brave gars ou une chouette fille, ça aurait pu être nous, notre enfant ou le voisin. L’identification était totale.

Cette année là, alors que tout le monde était ému par le sort de sept baigneurs tués par des requins, personne ne parla des 234 000 personnes qui s’étaient noyées dans le monde. Parce que ce n’était pas des gens, c’étaient des statistiques.

C’est bien connu des gens dont le métier consiste à raconter des histoires : il faut créer un lien humain. C’est pour cela que les témoignages de personnes atteintes du Covid, ou la mort de célébrités seront toujours plus efficaces que des chiffres annoncés par un Ministre.

Et cela devrait nous rappeler, mais là, la leçon ne porte pas, que la mort frappe de façon inévitable. La fatalité est inarrêtable. Et il faut bien que les requins se nourrissent, eux aussi.

Guillaume Bailly

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