Pour souffler un peu avant Noël, nous vous proposons quelques histoires de bienveillance, de magie et de rêve avec des personnages exemplaires et… Oh, attendez une minute, nous allons plutôt vous en proposer le contrepoint, pour souffler un peu entre deux chocolats chauds.
L’escroc qui enterrait les autres
Des escrocs, dans le monde funéraire, il y en a. C’est rare, il faut le dire, mais ça arrive. En France, nous avons la chance d’être protégés par deux gardes fous. Le premier, c’est l’exceptionnelle qualité des personnels funéraires, qui sont en immense majorité de gens dévoués et consciencieux. Le second, c’est une législation contraignante, certes, mais protectrice.
Aux Etats-Unis, par contre, c’est une autre histoire. La législation est beaucoup plus souple, et seule la conscience professionnelle des croque-morts ricains sert de protection. Et là encore, lorsqu’on voit, proportionnellement, le faible taux de scandales, on se dit que, décidément, ce métier attire surtout des gens biens. La plupart du temps.
Et, de temps à autres, il attire des gens comme Bobby Wilks. Il serait facile, et indéniable, de dire que ce Monsieur est un escroc, mais ça ne suffirait pas. Jugez-en plutôt.
En 1989, Bobby Wilks avait un petit commerce de pompes funèbres très prospère. Il était très doué pour vendre aux familles des cellules de caveaux en béton. Pour ça, et aussi pour convaincre les mêmes familles, une fois la cérémonie terminée au cimetière, que la dernière chose qu’ils souhaitaient voir, c’était le cercueil de leur proche descendre dans ledit caveau. Dans l’immense majorité des cas, donc, la famille quittait le cimetière avant l’inhumation.
Et une fois le dernier proche hors de vue, Wilks démontait le caveau. Une par une, il retirait les différentes parties de la cellule et les chargeait sur son camion. L’idée, vous l’aurez compris, était de le vendre à la famille suivante. Bien entendu, tout le monde n’acceptait pas toujours de quitter le cimetière, et de temps en temps, il se voyait contraint de procéder à l’inhumation de manière normale, mais il s’agissait souvent d’un caveau qu’il avait vendu plusieurs fois.
« Ah, le saligaud » vous entends-je vous exclamer. Oui, mais respirez fort, ce n’est pas fini.
Donc, après avoir fini son démontage, Wilks s’apprêtait donc à inhumer le défunt dans une pleine terre facturée au prix d’un caveau. Il ouvrait alors le cercueil et balançait littéralement le défunt dans le trou.
Parce que si on peut vendre plusieurs fois un caveau, on peut le faire aussi avec un cercueil, c’est logique, non ?
Et peut-être vous poserez vous la question : « mais comment n’a-t-il pas été dérangé, par les employés du cimetière par exemple ? ». Et bien, c’est l’Amérique : le cimetière était privé. C’était un bout de terrain appartenant à Wilks.
Qui, très vite, fut saisi d’une flemme assez colossale : pourquoi s’embêter avec toutes ces simagrées ? Il décida donc de procéder aux cérémonies à l’entrée de son cimetière, et non plus à côté de la tombe, de telle façon que la famille en ignore l’emplacement. Le caveau était posé, bien entendu, dans une allée, prêt à servir au cas où les proches auraient insisté pour assister à l’inhumation, mais sinon, une fois ceux-ci partis, Wilks se contentait d’emballer le corps dans un bout de carton et de l’inhumer dans une tombe peu profonde, parce que creuser, c’est fatiguant.
Énervés ? Vous devriez respirer bien fort, parce que ce n’est pas fini.
Il reste un petit détail : la commune, à l’époque, s’était dotée d’un système qui pesait les poubelles, et chaque habitant se voyait facturer sa taxe d’enlèvement des déchets ménagers en fonction du poids. Vous avez deviné : Wilks profitait de la fosse pour inhumer également ses déchets. Une des familles sera plus tard choquée, lors de l’exhumation, de voir le visage de leur mère apparaître avec un trognon de pomme dans la bouche.
Il me semble entendre quelqu’un au fond qui dit « il ne manquerait plus qu’il leur pique leurs bijoux », mais, honnêtement, vous avez cerné le bonhomme, vous croyez qu’il se gênait ? L’enquête prouvera qu’il dépouillait, bien entendu, les défunts de tout ce qu’ils avaient de précieux.
Il est normal de s’interroger, à ce stade, tellement ce que faisait Wilks était gros, sur le fait que personne ne se soit interrogé, mais, à cette époque, à la fin des énnes 1980, la profession était plutôt estimée, il y avait plusieurs entreprises dans le secteur, toutes très bien considérées, et Wilks était un membre estimé de sa communauté, selon l’expression consacrée. Et c’était un baratineur de première classe, un escroc très doué.
Qu’est-ce qui le trahis ? Juste un collègue, un jour, qui s’étonna de voir Wilks transporter un défunt dans son minibus Wolkswagen personnel, parce que, dit-il, « il ne faisait pas un temps à sortir le corbillard ». Le confrère, étonné, croisa un policier qu’il connaissait, lui raconta l’histoire, le policier, lui aussi étonné, creusa discrètement, vit encore plus de choses bizarres, il remonta l’info à la hiérarchie, qui ouvrit une enquête discrète et, un beau matin, la moitié des flics de la ville débarquèrent avec le procureur et un mandat pour exhumer quelques tombes.
Ce qu’ils découvrirent était si énorme que le visage de Wilks s’afficha à la une de tous les journaux télévisés des Etats-Unis.
Et c’est ainsi que Wilks tomba. Il prit 29 ans de prison, et fut placé à l’isolement pour le protéger des représailles des familles de ses victimes et des autre prisonniers, dont certains pouvaient avoir des proches inhumés par Wilks. Suite à cette affaire, l’État du Tennessee fit voter toute une série de lois pour surveiller de plus près des professions funéraires, ce qui permit de s’apercevoir que tous les autres professionnels du secteur étaient parfaitement irréprochables.
Ne partez pas, ce n’est pas fini. Si ? Non !
Prisonnier modèle, et toujours avec son bagout d’escroc, Wilks fut bientôt autorisé à travailler. Et comme les escrocs n’étaient pas considérés comme dangereux, que Wilks ne pouvait pas être laissé au contact des autres prisonniers, et qu’il était bien élevé, il fut affecté… A la garderie, où les employés de la prison laissaient leurs enfants. C’est dire le niveau de confiance. Quelques semaines plus tard, Bobby Wilks comparut à nouveau devant le tribunal et pris un an supplémentaire pour voir maltraité les bambins. Rien de glauque, ‘’juste’’ des gifles, mais tout de même.
Ce gentil garçon mourut en 2017 dans un hôpital où il avait été transféré pour des problèmes de santé. Pour tout un tas de raisons qu’il est inutile de vous expliquer, il fut enterré à une endroit tenu secret dans une tombe anonyme.
Guillaume Bailly