Images université Paris Saclay
Il est courant, aujourd’hui, de voir sur les réseaux sociaux une annonce de décès, publiée par la famille ou par une pompe funèbre, et, en dessous, des commentaires de condoléances. C’est la modernité. Enfin, modernité, tout est relatif : c’était déjà la routine pour les moines des débuts du moyen-âge.
Les parchemins de la mort
Les vestiges des rites funéraires du haut Moyen Âge, période la plus ancienne de l’ère médiévale, entre la chute de Rome et la création du Saint-Empire romain germanique, sont rares. Certes, des monuments subsistent, mais en ce qui concerne les coutumes elles-mêmes, les traces écrites sont peu nombreuses.
Parmi les rares témoignages ayant traversé le temps figurent les obits (services religieux célébrés à la date anniversaire d’un décès, qui ont donné naissance au terme anglais « obituaries » pour désigner les avis de décès), les testaments, les inventaires après décès et surtout les rouleaux des morts, ces précieux documents qui, entre les lignes, révèlent des pratiques oubliées.
L’origine des Rouleaux des Morts remonte aux monastères. Le premier connu date du VIIIe siècle, bien que certaines allusions à des lettres de condoléances remontent au VIe siècle, sans qu’un lien formel puisse être établi. La paternité de cette tradition est généralement attribuée à Boniface de Mayence, dans les îles britanniques.
Lorsqu’un membre du clergé décédait au sein d’un ordre religieux, un Rouleau des Morts était rédigé en son honneur. Y figuraient son nom, un bref résumé de sa vie ainsi qu’une demande de prières. Un messager était ensuite chargé d’acheminer le rouleau jusqu’à une congrégation voisine. Là, les moines et prêtres prenaient connaissance du document et y ajoutaient un « Titulus », une réponse mêlant message de sympathie et engagement à prier pour l’âme du défunt.
Une fois enrichi de ces témoignages, le rouleau était confié à un autre messager, qui l’amenait à une nouvelle congrégation. Ainsi de suite, jusqu’à ce que le document, gonflé de multiples contributions, retourne à son expéditeur.
Ces rouleaux pouvaient atteindre des dimensions impressionnantes : une fois le parchemin rempli, on y collait de nouvelles sections pour l’allonger. Plus le défunt jouissait de prestige et de piété, plus le rouleau voyageait loin, accumulant les prières et les hommages. Ces déplacements étaient aussi l’occasion pour les messagers de transmettre des nouvelles d’un monastère à l’autre.
Le plus long rouleau recensé mesure plusieurs mètres et contient les signatures et messages de 173 congrégations religieuses.
À l’origine réservés aux moines, ces rouleaux évoluèrent au fil du temps. À partir du bas Moyen Âge (des croisades jusqu’à la découverte de l’Amérique), ils furent principalement utilisés pour honorer les grandes figures religieuses et certains laïcs fortunés ayant soutenu financièrement les ordres monastiques.
La pratique subsista jusqu’au XVIIIe siècle en Allemagne, bien qu’elle ait commencé à décliner dès 1536. Localisée essentiellement dans les pays anglo-saxons et l’Europe du Nord, elle fut fortement impactée par la dissolution des monastères liée à la Réforme protestante en Angleterre.
Si la coutume ne disparut pas immédiatement, elle se restreignit progressivement à des échanges plus locaux, avant de s’éteindre définitivement. Les monastères continuèrent néanmoins à correspondre par d’autres moyens plus classiques.
Très peu de ces rouleaux sont parvenus jusqu’à nous. Transportés dans des étuis en bois, exposés aux intempéries, manipulés par d’innombrables mains, allongés et conservés dans des conditions souvent précaires, ils arrivaient déjà en piteux état à leur destinataire. L’usure du temps, les bouleversements historiques, les schismes et les révolutions ont fini par effacer la majorité de ces témoignages.
Il est néanmoins amusant de constater la similitude entre ces manuscrits, où chacun ajoutait son commentaire à une déclaration, et les réseaux sociaux d’aujourd’hui, où l’on commente un statut…
Guillaume Bailly