On a lu Les Charognards, le « fameux » livre sur les pompes funèbres. Et honnêtement, vous devriez partager cet article, vous abonner à notre newsletter, et nous envoyer un petit mot doux. Parce qu’on a souffert, pour vous.
Les charognards ne sont pas qui vous croyez
Le livre Les Charognards – Pompes funèbres : enquête sur le business de la mort, signé par Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse, s’est imposé en quelques semaines comme l’un des ouvrages les plus dérangeants de l’automne 2025. Entendez par là qu’il n’a laissé le choix à personne.
Fruit d’une enquête d’un an et demi, appuyée sur une centaine de témoignages, il plonge le lecteur dans les coulisses d’un « secteur méconnu », et ça, on en a déjà parlé en long, en large et en travers : celui des pompes funèbres, dont les auteurs prétendent dévoiler les logiques économiques et « les dérives morales ». À travers des récits crus et documentés, ils présentent une industrie du deuil où, selon eux, la rentabilité prend souvent le pas sur la dignité.
Dès les premières pages, le ton est donné. Le titre, provocateur, ne laisse guère de doute sur la posture des auteurs. L’ouvrage dénonce un système où la mort devient un produit marchand, où les défunts sont parfois traités comme des marchandises et les familles comme des clients à conquérir.
Les pratiques décrites, devis gonflés, pression commerciale sur des proches endeuillés, traitements indignes de certains corps, ont provoqué un choc médiatique et suscité des tables ouvertes dans toutes les bonnes émissions, souvent de sévice public.
Plusieurs articles de presse, de L’Internaute à DNA, ont relayé des extraits qui ont glacé le public, évoquant des corps laissés à l’abandon, des erreurs de manipulation et des cadavres en décomposition transférés sans respect, selon eux.
Mais c’est vrai qu’il est plus facile de parler de respect depuis un appartement parisien que dans une combinaison blanche, quand on glisse sur des fluides corporels et qu’on essaie de se retenir de vomir en essayant de soulever plusieurs dizaines de kilos de masse informe en décomposition avancée tandis que les asticots gambadent joyeusement sur vos mains pour un SMIC. Vous voyez, Brianne et Matthieu, moi aussi je connais les astuces narratives.
Système de systématisation systémique
Les auteurs insistent sur la dimension systémique (un mot très à la mode sur plein de sujets) de ces dérives : le marché des obsèques, évalué à plus de trois milliards d’euros par an, serait désormais dominé par quelques grands groupes cherchant à maximiser leurs marges.
L’enquête détaille les stratégies d’intégration verticale, les politiques tarifaires opaques et la standardisation progressive des cérémonies, autant de signes d’une industrialisation silencieuse du deuil. À travers des témoignages d’anciens employés, de cadres repentis et de familles désabusées, Les Charognards dévoile l’envers d’un décor que beaucoup préféraient ne pas voir.
Les « anciens » des pompes funèbres ont, pour beaucoup, des comptes à régler, et l’amertume peut faire dire des choses désagréables. Cette phrase est en lice pour l’euphémisme de l’année. Les familles… C’est dramatique, sans aucune contestation. Quand on convoi est un échec, peu importe les circonstances, c’est un drame irréparable. MAIS ça ne représente qu’une toute petite fraction du nombre de convois annuels. Quelques exemples, aussi dramatique qu’ils soient, étalés sur plusieurs années de surcroît, ne permettent pas de tirer une conclusion empirique sur un secteur qui gère 643 000 convois par an, l’immense majorité du temps sans soucis.
Enfin, la « standardisation » progressive des cérémonies… Dites, vous vous êtes renseignés, un peu, avant d’écrire votre bouquin ?
Cette charge frontale a suscité des réactions contrastées. Les défenseurs du secteur, eux, dénoncent une œuvre à charge, jugée trop manichéenne. Des fédérations professionnelles estiment que les faits rapportés restent marginaux, que certaines scènes ont été généralisées sans nuance et que le portrait dressé du métier est excessivement noir.
Engagez vous, qu’ils disaient
Les auteurs avaient manifestement anticipé les réactions, et ils revendiquent une écriture engagée. C’est leur droit, sauf que… Sauf que le secteur tout entier est présenté, un peu sournoisement, comme presque entièrement entre les mains de grosses sociétés capitalistes. Et ceux, en partant du postulat de base que le capitalisme, c’est forcément le mal.
Et c’est sujet à débat, certes, mais le problème, c’est quand un journaliste sait déjà comment il va parler de son sujet avant d’avoir commencé à travailler sur ce sujet.
Et la part importante des entreprises funéraires indépendantes dans le marché français, environ 60 % selon Xerfi (qui donne une part de marché de 30 % à OGF et Funecap, les 10 % qui restent étant sans doute la part des régies publiques) est ignorée, voire tacitement inversée. Si l’on connaît mal le secteur, on peut avoir l’impression que les deux grands détiennent quasiment tout le marché, ce qui est faux, loin de là.
Par moment, on peut presque deviner la main de la gauche anticapitaliste qui veut renationaliser le funéraire tenant celle des auteurs. Et là encore, c’est leur droit. Mais, ce que les deux auteurs n’ont pas compris, c’est que si le secteur du funéraire, extrêmement contrôlé et réglementé, il est utile de s’en rappeler, passait entre les mains du public, cela ne résoudrait rien. Des erreurs continueraient d’être faites, plus même, parce que, quand dans le privé un employé est incompétent, on le vire, allez virer un fonctionnaire, qu’on rigole, les cérémonies seraient d’autant plus standardisées que les élus, et donc les idéologies politiques, auraient un moyen de coercition dessus, et nos dirigeants y verraient le prétexte idéal pour lever de nouveaux impôts, il faut bien payer tout ça. Peut être, à la rigueur, obligerait on les journalistes de la presse funéraire à faire des phrases plus courte.
Finalement, le seul problème de ce livre, mais un problème qui l’invalide totalement : c’est un pamphlet présenté comme un reportage. Et ça, c’est pas bien.
Guillaume Bailly
Désolé de vous contredire, mais tout ce qui a été rapporté par la presse et les extraits choisis me semblent vrais. Tout du moins, je les ai personnellement vécus. Oui, cela fait une dizaine d’années que je suis dans le funéraire. J’ai été formé chez OGF où j’y ai passé 5 ans tenant à la fois un gros funérarium (1100 corps par an), et une agence. J’officiais en plus de mon rôle de Conseiller Funéraire, en tant que Maître de cérémonie. J’ai donc tout vu que ce soit depuis la préparation des cercueils, les soins de conservation que je contrôlais, la réception des corps et les problèmes de conservation, la réception des familles, la gestion des obsèques, etc. Il existe certains problèmes qui sont révélés ponctuellement. Mais il faut reconnaître que les conditions de travail ne sont pas optimales quand on travaille dans un grand groupe au regard du maigre salaire attribué. Pour l’équivalent d’un SMIC, on tient une agence en recevant les familles pour l’organisation des obsèques. On y vend aussi les articles funéraires présentés. On fait signer des contrats d’assurance obsèques. On vend tous les produits annexes (monuments, entretiens de sépultures, etc). On est amené à accompagner les familles en tant que Maître de cérémonie. On fait ses démarches administratives auprès des mairies. et comme si ça ne suffisait pas, le samedi, on nous envoit sur une agence qu’on ne connait pas pour gérer des dossier qu’on ne connait pas. Et régulièrement on assure l’astreinte téléphonique du week-end depuis le vendredi soir jusqu’au lundi matin, avec des appels à tous moments pour organiser des transferts en urgence. Il n’est pas rare de recevoir 15 à 20 appels.
Si l’on rajoute à cela le contexte psychologique où il n’est pas rare de recevoir des familles pour des suicides d’enfants ou des accidents brutaux, alors le Conseiller peut être très fatigué à tous niveaux sans que sa hiérarchie en tienne cas.
Je ne suis pas le seul à avoir eu toutes ces expériences. On pourrait écrire des volumes entiers sur tout le vécu, et les différentes histoires (sans parler des coucheries internes !), preuves à l’appui.
Personnellement, je travaille maintenant dans une petite agence familiale à taille humaine et tout va bien !
Merci
Un grand merci à vous Guillaume Bailly pour votre article qui recadre les choses et montre le vide de cette pseudo enquête sur le monde du funéraire ! Je travaille dans ce secteur depuis 11 ans, pour l’un des grands groupes visés par cette « enquête » qui n’a d’enquête que le nom ! Je n’ai pas eu le courage de lire cet ouvrage car rien que le titre, à charge évidemment, m’a mise très en colère, je me doutais bien que la suite ne serait qu’ un condensé d’anecdotes toutes plus croustillantes et infâmes les unes que les autres. Évidemment qu’il peut y avoir des erreurs, des dérives malheureusement mais comme vous le dites si bien, elles ne sont qu’une minorité parmi des actes d’humanité, de professionnalisme qui sont ceux le quotidien de celles et ceux qui chaque jour œuvrent pour accompagner le deuil.
Les vrais charognards sont ces gens qui se qualifient de journalistes, qui vont récolter beaucoup d’argent sur le dos des pompes funèbres en sortant leur « enquête » au moment de la Toussaint, ou comme chaque année, nous sommes la cible des rageux.
Merci M. Bailly de remettre l’église au milieu du village. Certes tout n’est pas parfait et certains dysfonctionnements peuvent être douloureux pour les familles. On ne fait les obsèques qu’une seule fois . Durant le COVID le dévouement des personnels a été exemplaire toutes sociétés confondues et on ne les applaudissait pas à 20 heures. Respect pour toutes ces femmes et hommes au service des familles 24/24 7/7.
PM 26 ans de terrain et 10 ans chez Nova Formation ( en retraite)