L’époque de tensions et de déchirements politiques que nous vivons est idéal pour rappeler le principe de base des pompes funèbres : la neutralité. Ni d’accord, ni en opposition avec la famille que vous recevez, elle doit ressortir de votre bureau sans savoir ce que vous pensez.
Pas Suisse mais neutre quand même
Les pompes funèbres sont un métier de représentation. Entre autres : les spécificités de nos métiers sont vastes, mais la représentation en fait partie. C’est, surtout, un service public. Qu’il soit délégué à une société publique ou privée, le funéraire est un métier qui touche à la santé et la salubrité publique, et les croque-morts sont réquisitionnables.
Dès lors, cela fait de l’employé en contact avec les familles et le public, conseiller funéraire, Maître de Cérémonie, porteur, thanatopracteur dans certains cas, un porte-drapeau de l’entreprise et lui confère un devoir de neutralité.
Un élection sous tensions
Cela s’impose d’autant plus dans le contexte : la période que nous traversions est marquée par l’exacerbation des sentiments ou ressentiments politiques, et celle-ci est particulièrement tendue.
Et deuil ou pas deuil, certains membres très militants, ou en colère, de certaines familles, n’hésitent pas à étaler leurs revendications ou leurs préférences. Du très général « tous pourris » au très ciblé « de toute façon, c’est Machin qui a raison ! », généralement, votre interlocuteur attendra ensuite votre approbation. Qu’il serait facile et confortable de lui donner pour passer à autre chose, n’est-ce pas ? Et bien, non.
Pour plusieurs raisons. La première, l’essentielle, c’est que vous devez être neutre, et si vous mettez, ne serait-ce qu’un coup de canif dans le contrat, c’est que vous êtes déjà sur la pente de la mauvaise habitude. Ensuite, parce que tous les membres ne sont pas forcément d’accord. Le repas de famille qui dégénère en dispute générale à cause de la politique n’est pas qu’un gag pour film comique : ça arrive tout le temps.
Et si le taiseux assis au fond, en retrait, est aussi convaincu que le bavard qui vous dresse le panégyrique de son candidat, mais du parti opposé, et donc fervent défenseur du silence-mais-je-n-en-pense-pas-moins, vous pouvez avoir deux certitudes : la première, vous n’aurez pas ce convoi. La seconde, le taiseux deviendra très bavard plus tard, et vous taillera un costard sur mesure (aucune référence politique dans cette phrase) auprès de toutes ses connaissances.
Rire niais et phrases creuses
Différentes réactions sont possibles. Parfois, un enchaînement petit sourire – changement de sujet suffit. Mais pas toujours. Il va falloir travailler deux choses : le rire niais et la phrase creuse. Parce que, mine de rien, ça ne vous engage à rien.
Prenons un exemple : la famille vous dit « Tous pourris, vaut mieux aller se promener ». « Ah ah ! Si il fait beau » est la réponse à la fois la plus stupide et la plus efficace que vous pourrez trouver. Parce qu’il est impossible de savoir si au final vous êtes d’accord avec lui et irez vous promener plutôt que de voter, ou si vous lui souhaitez simplement d’avoir beau temps.
Mais, plus sérieusement : en cette période particulièrement, tant que vous êtes dans l’uniforme de votre société, sur votre temps de travail, face à une famille, asseyez-vous sur vos convictions et votre amour-propre : on vous a confié une mission et vous l’avez acceptée, et cette mission implique que vous soyez neutre.
Dans tous les cas, soyez assurés : si la famille sait, en sortant de votre agence, ce que vous pensez, c’est que vous avez mal fait votre travail. Et ça, ça finira toujours par vous retomber dessus.
Guillaume Bally