Le monde et les usages changent. Parmi eux, la consultation de la PQR, Presse Quotidienne Régionale, et les rituels, comme parcourir la rubrique nécrologique à la recherche d’un nom de connaissance. Et demain, à quoi cela ressemblera-t-il ?
Souvenirs
Quand j’étais petit, l’été, en vacances chez mes grands parents, je prenais mon petit déjeuner sur la table de la cuisine, tandis que ma grand-mère se préparait pour aller au marché. Mon grand-père, qui était depuis l’aube dans son jardin, faisait un passage, et, certains jours, ma grand-mère lui disait quelque chose en Breton. Bien que purs produits de l’école française, ils avaient gardé l’habitude de se parler en breton entre eux. Invariablement, mon grand-père répondait « piou ? », ce qui signifie « qui ? » et je comprenais que, l’après midi, ou le lendemain, ils partiraient à un enterrement.
C’était le premier passage : ma grand-mère lisait la rubrique nécrologique à la recherche de connaissances directes. Plus tard, dans la matinée, c’était mon grand-père qui, lui, cherchait des noms de vieux camarades de la Marine Nationale. La rubrique nécrologique du Télégramme de Brest, édition de Plouguerneau et des Abers, avait sa place immuable dans la journée.
Et ce rituel n’était pas unique. Quand il y avait un mort, selon les affinités, la famille, les amis, appelaient, ou passaient à la maison, pour savoir comment ils s’organisaient pour les obsèques. Personne ne se posait jamais la question « est-ce qu’ils sont au courant qu’untel est mort ? ». Non, c’était évident, ils avaient lu les avis de décès, que mon père et mon oncle appelaient en rigolant « les interdits de séjour chez Euromarché ».
Rien, à ce moment là, ne me laissait deviner que, vingt ans plus tard, c’est moi qui rédigerait certains de ces avis. Et rien en laissait non plus supposer qu’un jour, peut être, ils disparaîtraient.
Et demain ?
La presse est en crise. Et même si la PQR, la presse quotidienne régionale, s’en sort plutôt pas mal au regard de certains titres nationaux, toute une génération grandit sans développer le réflexe de lire le journal, ce rituel immuable du petit déjeuner. Et parmi ceux qui le parcourent, de plus en plus rares sont ceux qui lisent l’austère rubrique nécrologique.
Ce qui n’est ni une bonne, ni une mauvais chose, juste un fait. Mais il revient de se poser la question : par quoi les avis de décès seront ils un jour remplacés ?
Il y a les réseaux sociaux (RS), bien entendu, et le relationnel. Parmi les RS, Facebook, considéré comme à bout de souffle et has been, domine pourtant encore de la tête et des épaules. Un chiffre, pour vous donner une idée : X, anciennement Twitter, dont pourtant on semble parler tout le temps, représente 7 % du trafic de Facebook.
Malgré cela, le géant est en butte à la concurrence avec Instagram, Tik Tok, etc. Chacun ayant ses particularités, ses spécificités, ses modes. Et, surtout, la volatilité de son audience, qui papillonne d’un RS à un autre.
Les réseaux sociaux, mais aussi le bouche à oreille version numérique. Du temps de mes grand parents, envoyer un message privé à une liste de diffusion, ça n’existait que dans les épisodes de Star Trek, et encore, c’était audacieux, comme prospective. Mais cette méthode fonctionne auprès des cercles plus ou moins proches. Dans vingt, trente, quarante ans, quelqu’un qui a connu le défunt et l’a perdu de vue depuis plus d’un décennie, où apprendra-il son décès ?
Le futur qui se dessine est celui d’une information qui circule mieux, mais, paradoxalement, avec un risque de perte d’efficacité. L’obstacle majeur sera la dispersion de l’information. Aujourd’hui, si l’on ventile un avis de décès sur Facebook, X (ex Twitter) et Tik Tok, on risque de manquer l’usager d’Instagram. Et c’est cette question que les pompes funèbres devront résoudre. D’ici une génération, certes, mais gardons à l’esprit que cette génération dont on parle est déjà née.
Guillaume Bailly