Journalisme enquête

Un titre qui ne dit pas de quoi parle l’article

En Ile-et-Vilaine, un conflit oppose une famille à la mairie pour l’emplacement d’une tombe qui gêne la circulation autour du monument de leur fils. Ce dont la presse a rendu compte, en choisissant malheureusement le spectaculaire.

Donnez de la place

À Essé, petite commune d’Ille-et-Vilaine, un litige opposant deux familles autour d’une concession funéraire a pris une ampleur inattendue. En 2021, Joseph Geslin, maire de la commune, attribue une concession dans le cimetière communal à la suite du décès d’un habitant. L’espace, réduit – 15 cm à la tête et 5 cm aux pieds – ne respecte pas la réglementation funéraire qui impose un minimum de 30 à 50 cm de distance entre les sépultures.

Problème : cette nouvelle tombe est mitoyenne de celle de François-Xavier Martin, jeune homme décédé en 2008, et dont les parents, fidèles à sa mémoire, se recueillent régulièrement. Ces derniers, bouleversés par cette promiscuité qu’ils jugent gênante, tentent d’alerter la mairie, sans succès. Ils font appel à un huissier, puis à la justice.

Des travaux sont bien engagés par la commune pour déplacer la pierre tombale à 43 cm, mais le caveau en profondeur, lui, reste inchangé. Les parents Martin estiment devoir encore « marcher sur la tête du défunt voisin » pour accéder à leur fils. La justice administrative, après un rejet en première instance, finit par leur donner partiellement raison en appel, en juin 2025 : la commune est condamnée à verser 1 500 €, mais sans obligation de nouveaux travaux. L’affaire, selon le maire, est « close ». Pas pour la famille Martin.

Ce qui aurait pu rester un différend local a trouvé un écho national. L’élément déclencheur ? La nature même du sujet : un affrontement dans un cimetière, lieu de paix par excellence, autour d’un espace sacré et sensible : la tombe d’un enfant.

Malheureusement, certains articles ont omis un détail important : la plupart des lecteurs se contentent du titre, voire du chapo pour les plus courageux. Et que disent ces titres « La tombe d’à côté est trop proche de celle de leur fils, le couple poursuit la mairie en justice ».

Pour vous, pour moi, c’est clair, parce que si vous êtes parvenus jusqu’ici, vous savez à quoi vous en tenir, la mairie a fait une erreur. Et si vous êtes un professionnel du funéraire, vous savez que circuler entre les tombes est parfois compliqué avec 30 centimètres, alors 5…

Mais le lecteur inattentif, lui, comprendra autre chose : sans lire l’article, il est permis de penser que ces gens font un caprice et ne souhaitent pas que la tombe de leur enfant côtoie des inconnus, alors que nous sommes dans un cimetière. « Qui pense ça ? » demanderez vous peut être. Beaucoup de monde : allez voir les commentaires sur les réseaux sociaux sous les partages de cet article.

L’émotion est un moteur puissant de l’intérêt médiatique. Elle attire le lecteur, suscite l’indignation ou la compassion, et garantit l’engagement sur les plateformes. Et ça, ça passe par un bon titre. Malheureusement, quand 80 % des lecteurs ne se contente que du titre, justement, d’après certaines études, cela peut prêter à confusion. Et on imagine le drame de cette famille qui, tombant à dessus, voient que pour certains, ils sont les méchants de l’histoire. Alors que de méchant il n’y a point.

Qui est en tort ? Et bien, une fois n’est pas coutume, je ne vais pas taper sur mes confrères journalistes. En ces temps troublés, la concurrence est dure, et faire un titre accrocheur (on dit « putaclic ») est de bonne guerre. Le problème vient du lecteur qui pense qu’une dizaine de mots font une information, et que l’article en dessous ne sert à rien. Évacuées la complexité, la nuance, l’objectivité. Et quand on arrive à des sujets sensibles comme le funéraire, l’effet d’amplification tourne à fond.

De là à dire que beaucoup de problème de réputation du funéraire viennent du fait que les gens ne lisent plus, il n’y a qu’un pas. Que je franchis, personnellement, souvent.

Guillaume Bailly

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